Un «gros môssieur» s’en est allé
Hommage d’un ancien du Collège d’Arthabaska à Frère Henri Gélinas (Frère Julius), de la communauté des Frères Sacré-Coeur, décédé au début du mois de janvier 2019 à l’âge de 98 ans.
«Ehhhh, les gros môssieurs!» Combien de fois, quelque part dans les couloirs ou encore près de l’une des patinoires derrière le Collège, avons-nous entendu cette expression si caractéristique de Frère Henri? À titre d’Ancien du Collège d’Arthabaska, j’ai eu le plaisir et le privilège de pouvoir côtoyer cette véritable légende et tenais à vous partager ce modeste billet qui, je l’espère, rendra un tant soit peu hommage à ce personnage aussi mythique que sympathique.
L’un des premiers collaborateurs à la colonie de vacances du Camp Beauséjour, où il était mieux connu sous le nom de «Capitaine Peppermanne», Frère Henri a, pendant de nombreuses années, enseigné en Beauce pour finalement «prendre sa retraite» en venant œuvrer au Collège d’Arthabaska.
C’est d’ailleurs à ce moment que je l’ai connu. Et je dois vous avouer que, du haut de ses 75 ans passés, il attirait les regards de bien des nouveaux avec son air chétif et son fidèle cardigan. Nombreux sont ceux qui, d’ailleurs, voyaient a priori en lui le cliché d’un Frère par le monde moderne dépassé… moi compris.
Mais que nenni, les amis, que nenni! Car en effet, nous eûmes tôt fait de réaliser que, contrairement aux apparences, Frère Henri était en réalité un individu d’exception. L’une de ces rares personnalités plus grandes que nature qui, derrière une humilité et une simplicité aussi tranquilles que transcendantes, parviennent à camoufler toute l’étendue de leur stature et la bonté de leur nature.
À preuve, sa fière et forte feuille de route, qui compte plus de 80 ans de dévouement à sa communauté, pour qui il a fait voeu de chasteté, de pauvreté et d’obéissance (ce qui, en contraste aux «valeurs modernes», n’est pas rien!) à l’instar de ses pairs.
À travers toutes ces années, un seul et même objectif : poursuivre, de façon exemplaire, la mission des Frères du Sacré-Coeur envers la jeunesse, par la transmission du charisme, du courage et de la confiance (re-bonjour «valeurs modernes»).
Frère Henri, c’était aussi un homme au portrait tellement vaste et profond que seul le recul permet d’en apprécier toute la nature et l’ampleur. Il était partout et de tous les coups (surtout les bons… car à l’époque on se gardait jalousement, du côté des élèves, les mauvais). À chaque rentrée, chaque élève trouvait son pupitre flanqué d’une affiche à son nom, que Frère Henri en guise de coutume écrivait de sa délicate plume. À chaque fois que l’un de nous célébrait son anniversaire, les paris étaient ouverts pour deviner quelles sucrées surprises attendaient le fêté dans son casier. Et à chaque événement ou rassemblement, informel comme officiel, il était là; à la fois comme acteur et metteur en scène de moments où nous devenions un peu plus nous-mêmes.
Évidemment, Frère Henri avait ralenti physiquement; mais son oeil vif, son sourire espiègle, la qualité de sa présence et de ses précieuses attentions ont laissé une trace lumineuse, indicible et indélébile, au sein de tous ceux qui ont pu le côtoyer. À preuve, l’anecdote que je retiens le plus chèrement, et également que je relate aussi le plus fièrement, en témoigne justement. Et parce que c’est vous, je vous la raconte avant de vous laisser filer… pas besoin de vous verser un deuxième café, en deux minutes ce sera réglé.
Retour en 2009, lors des retrouvailles des Anciens du Collège d’Arthabaska pour souligner la fermeture de l’établissement d’enseignement. Une centaine d’entre nous sommes réunis et, au cours de la soirée, un encan au bénéfice du Centre Emmaüs des Bois-Francs (aussi animé par les Frères) permettait de miser sur différents lots. Lequel s’est avéré le plus populaire? Une barre de chocolat «Oh Henry!». Quel est le rapport? Frère Henri.
Il faut savoir qu’à son anniversaire, ce dernier avait l’habitude de distribuer aux 320 élèves du Collège son homonyme sous forme de barre chocolatée. S’inspirant de cette tradition, le comité organisateur a décidé de faire les choses en grand : déposée sous une cloche de verre, autographiée et accompagnée d’un certificat d’authenticité signé par le principal intéressé, une barre «Oh Henry!», achetée 1,49 $ par yours truly dans un dépanneur à Sainte-Julie et qui s’est finalement vendue… 450 $!
Loin d’être banale, cette anecdote démontre toute l’estime portée au Frère Henri.
De ces gens que l’on voudrait pouvoir voir et revoir à jamais après leur décès et qui malgré tout, sans trop pouvoir se l’expliquer, demeureront toujours à travers nous vivants. Une gentillesse, une magnanimité et une générosité inspirantes et motivantes, dans un monde qui perd de plus en plus de son sens et de son essence. Et un héritage dont la valeur grandit et s’embellit par les valeurs qu’il lègue, valeurs auxquelles nous croyons et, à travers leur partage et leur promotion, par lesquelles nous-mêmes nous croissons.
Frère Henri nous a quittés au début de 2019 et, malgré la tristesse des circonstances, on ne peut s’empêcher de penser que c’est peut-être l’un des derniers clins d’oeil qu’il nous a fait. Car cette année marquera le 60e du Camp Beauséjour et le 20e de la fermeture du Collège d’Arthabaska. Comme si, lorsqu’il nous a quittés en sachant qu’approchait cette symbolique croisée des chemins, il voulait nous passer le flambeau. Celui des souvenirs, certes, mais d’abord et avant tout celui de l’avenir.
Car si les Frères ont perdu l’un des leurs, à nos yeux s’est aussi éteint l’un de ses meilleurs ambassadeurs, de corps comme de coeur. C’est à notre tour de poursuivre le chemin tracé par le premier des «Gros môssieurs»… un pionnier qui, quelque part là-haut dans les cieux, continuera de faire bien des heureux.
Merci, Frère Henri
Tu fais à jamais partie de nos vies.
Alexis Pinard
Ancien du Collège d’Arthabaska