Lutte à la pauvreté : un plan d’action gouvernemental racoleur et pernicieux
Le dimanche suivant la fin de la session parlementaire de l’automne à Québec, le ministre de la Solidarité sociale, François Blais, dévoilait – avec plus de deux ans de retard! –, le nouveau plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Pour l’occasion, il était flanqué du premier ministre lui-même, Philippe Couillard, et de la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse et à la Santé publique, Lucie Charlebois. Le premier lui servant de caution, la seconde de faire valoir. Effet du hasard? En plus d’échapper aux questions des parlementaires dans l’enceinte démocratique de l’Assemblée nationale, le dévoilement de ce plan coïncide avec la grande saison des guignolées et des distributions des paniers de Noël, à l’aube de cette période de fin d’année où la générosité populaire est à son sommet, les discussions politiques en veilleuse et les mobilisations sociales en dormance.
L’accueil des différents organismes et intervenants dans la lutte à la pauvreté, au Québec, est tiède. Parfois tranché, parfois bienveillant, voire complaisant. C’est qu’il y a de tout dans ce document. Une véritable macédoine avec du bon (voire du très bon) et du moins bon (voire toxique).
L’obsession du salut par le travail
Sans surprise, le maître mot de ce plan d’action gouvernemental est l’employabilité. Pour le gouvernement Couillard, le salut ne vient que par le travail. La prospérité du Québec n’est pensée qu’en termes économiques et, par conséquent, les citoyennes et citoyens sont ramenés à leurs seules fonctions de contribuables ou d’agents économiques. Le titre même du plan est révélateur : Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale. La référence à la pauvreté y est gommée, comme si, ce faisant, la réalité même de la pauvreté disparaissait. Comme si « inclusion économique » et « participation sociale » allaient de pair, comme si la participation sociale passait exclusivement par l’inclusion économique. Ce qui paraît une proposition réductrice. Manifestement, le dossier de la solidarité sociale pâtit de sa proximité avec celui de l’emploi, le même ministre portant le bicorne.
Accorder aux prestataires de l’aide financière de dernier recours un boni au maintien en emploi, un supplément au revenu de travail ou une exclusion sur les dons en argent, de même que bonifier les primes au travail et les exemptions de revenu de travail, on ne peut que souscrire à de telles mesures. Cependant, le soutien réel qu’elles apportent est insuffisant. Pour les prestataires, ce ne sont pas des mesures qui leur permettront de sortir de la pauvreté. Et encore moins d’une façon durable. Plusieurs resteront en situation de survie. Les autres seront tout simplement moins pauvres. Mais pauvres tout de même.
Les faiseurs d’image du gouvernement ont beau braqué les projecteurs sur l’objectif de « sortir 100 000 personnes de la pauvreté », la tâche, toute louable et atteignable soit-elle, reste modeste. Au terme de l’exercice, il restera tout de même plus de 700 000 personnes en situation de pauvreté au Québec, à peine moins de 10 % de la population. Et plusieurs d’entre elles travaillent à temps plein. Le gouvernement n’a d’ailleurs pas jugé bon de profiter de l’occasion pour revoir sa conception étriquée du salaire minimum.
Le mirage d’un revenu minimum garanti
À défaut de pouvoir surfer sur un rapport d’experts favorables à l’adoption d’un salaire minimum garanti pour l’ensemble des Québécoises et Québécois, le gouvernement Couillard se vante de promouvoir l’établissement d’un revenu de base. Le premier du genre, insiste-t-on. Révolutionnaire, ajoute-t-on. Mais une bien petite révolution en fait. Sinon par l’ampleur du soutien financier et la reconnaissance d’une évidence : « la persistance de la pauvreté
Association des groupes d’éducation populaire autonome, Centre-du-Québec chez certaines personnes ayant des contraintes sévères à l’emploi ». Ainsi, au terme du nouveau plan d’action, en 2023, celles-ci toucheraient une somme équivalente à la mesure du panier de consommation (MPC), indice reconnu du montant minimal nécessaire à la couverture des besoins de base, tel qu’évaluer en 2017… Toujours pauvres, mais pas nécessiteuses!
Cette mesure est de loin la plus alléchante des 43 actions annoncées par le gouvernement. Elle ne sait toutefois pas s’affranchir de la culture de méfiance qui semble s’être installée à demeure au sein de l’appareil d’État envers les prestataires d’aide sociale et dont une frange de l’opinion publique vibre au diapason. Non seulement cette mesure consacre la distinction entre le bon et le mauvais pauvre, autrement dit entre la personne prestataire jugée apte à l’emploi et celle à laquelle on reconnaît des contraintes suffisamment sévères pour la priver d’un revenu de travail, mais elle ne sera appliquée qu’aux personnes recevant des prestations depuis plus de cinq ans! Comme si une période probatoire était nécessaire pour toucher ce revenu de base. Quant aux autres, elles restent condamnées à l’indigence.
Un effort financier particulier est également consenti aux personnes seules et aux couples sans enfants qui font figure de négligés au sein des programmes d’assistance financière. À terme, il n’en reste pas moins que ces personnes ne recevront qu’un peu plus que la moitié de ce qui est nécessaire pour couvrir leurs besoins de base!
Il faut se réjouir des investissements annoncés dans le secteur des logements sociaux, pour l’amélioration des compétences numériques des personnes en situation de pauvreté ou de leur accès à une « alimentation saine, nutritive et abordable ». Néanmoins, ces mesures sont insuffisantes. De plus, si elles permettent de soutenir les personnes en situation de pauvreté, elles ne s’attaquent pas à la pauvreté proprement dite.
Visa la pauvreté, tua le pauvre
De lutte à la pauvreté, il n’est guère fait mention. Comme le rappelle l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le plan d’action gouvernemental ne cherche pas à déraciner les « causes systémiques de la pauvreté » ni à réduire les inégalités de revenu – surtout quelques jours après avoir annoncé un « allègement du fardeau » fiscal des contribuables québécois. Pour le gouvernement, la lutte à la pauvreté est d’abord un combat individuel. Il appartient à ceux et celles qui subissent les pressions socioéconomiques associées à cette condition de vie de s’en sortir. Ce sont les premières personnes « à pouvoir agir pour transformer leur situation », se plait-on à rappeler dans le document, en faisant référence au préambule de la Loi visant à viser contre la pauvreté et l’exclusion sociale, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 2002. Mais la même loi parle aussi de protection et de respect de la dignité humaine, d’autonomie, de reconnaissance des droits et des libertés. Ce que le plan d’action gouvernemental évite soigneusement de faire, à l’exception de quelques passages convenus.
Ce qui reste en fin de compte de ce document et de ces 43 actions, c’est l’impression d’être devant une figure imposée. Un plan racoleur pigeant, à droite (surtout) et à gauche (timidement), des mesures qui dégoulinent de bons sentiments, mais qui rate sa cible. Par la modestie des moyens et le désintérêt pour la cause. Aux yeux du gouvernement, seul compte un accroissement général du niveau de vie de la population capable d’entretenir le développement social du Québec. Si cette quête de la prospérité fait quelques victimes, elles passeront au compte de pertes et profits. Des anecdotes. Il ne tient qu’à elles d’éviter l’écueil de la pauvreté et de « participer au dynamisme économique du Québec » et de contribuer ainsi à ce qui marque, pour le ministre Blais, « le début d’un nouveau chapitre pour le progrès social du Québec ». Une fois la lecture terminée, on craint pour la qualité de l’ouvrage.
François Melançon
Pour l’Association des groupes d’éducation populaire autonome (AGÉPA) Centre-du-Québec