L’émergence d’une gauche centricoise?
Lors des dernières élections générales du Québec, les résultats obtenus dans les quatre circonscriptions du Centre-du-Québec n’ont pas causé surprise. Cette région entièrement représentée par la CAQ en 2014 a réélu quatre députés de la formation de François Legault, alors que son parti a connu une vague d’appui importante.
Rien de nouveau. Enfin, rien de nouveau si ce n’est que Québec solidaire est désormais le second parti de la région. En effet, dans trois des circonscriptions, la candidature solidaire est arrivée en seconde place. Est-on en train d’assister à l’émergence d’une véritable gauche centricoise (gentilé des habitants et habitantes de la région du Centre-du-Québec)? C’est une hypothèse à examiner.
Un portrait de cette région trop souvent réduite à une sorte «d’entre-Québec-et-Montréal » s’impose. Composée de cinq MRC et de quatre circonscriptions provinciales : Arthabaska, Drummond-Bois-Francs, Johnson et Nicolet-Bécancour, la région 17 se situe au sud du fleuve entre la Montérégie et Chaudière-Appalaches. En ordre décroissant, les principales villes sont Drummondville, Victoriaville, Bécancour, Nicolet, Plessisville, Princeville, Warwick et Daveluyville. Par ailleurs, les allochtones du Centre-du-Québec cohabitent avec les nations abénaquises de Wôlinak et d’Odanak. Politiquement, la région a suivi les grandes tendances du Québec : péquiste à partir de 1976, libérale dans les années 80, retour péquiste dans les années 90, divisée entre péquistes et libéraux dans les années 2000, adéquiste en 2007-2008 et, pour finir, caquiste depuis 2012. Sur le plan constitutionnel, elle a voté non au premier référendum, mais oui au second. Une région parfaitement à l’image du Québec francophone autrement dit. Ce n’est donc pas si surprenant qu’en 2018 elle ait connu, comme le reste du Québec, une double vague caquiste et solidaire qui renverse l’ancien paradigme rouge-bleu.
Maintenant, qu’en est-il des défis de cette nouvelle gauche centricoise qui a doublé le PQ et le PLQ? En premier lieu, QS a beau être parvenu à la seconde place, il n’en reste pas moins que dans les quatre circonscriptions, la CAQ a obtenu un score supérieur à 50% et l’écart est considérable. Deuxièmement, l’absence d’un mouvement de gauche allié tant au fédéral que dans les différentes municipalités prive QS d’un maillage qui a pu faire la différence ailleurs, que ce soit à Montréal ou à Sherbrooke par exemple. Finalement, la situation géographique de la région vient compliquer la tâche des militants et des militantes puisque le Centre-du-Québec est, paradoxalement, une région sans véritable centre. Contrairement à l’Estrie qui possède Sherbrooke comme grande ville, les Centricois et les Centricoises n’ont pas de municipalité centrale pouvant faire office de noyau à partir duquel s’organiser.
Toutefois, si les défis sont grands, il reste possible pour les militants et les militantes de gauche de faire une grande progression dans les années à venir. Parvenir à la seconde place sans qu’existe une association régionale solidaire, dans une situation où les associations locales en sont encore à un stade embryonnaire de développement permet d’imaginer ce qui pourrait arriver si les structures associatives étaient améliorées. Par ailleurs, l’élaboration d’une plateforme électorale spécifiquement centricoise aux prochaines élections pourrait faire la différence, car l’un des atouts de la CAQ a été de faire des propositions très concrètes pour chacune des circonscriptions, montrant ainsi qu’elle était ancrée dans la région.
Une autre perspective à ne pas négliger pour la gauche centricoise est indéniablement la vitalité et la puissance du mouvement communautaire régional qui a une très bonne réputation à l’échelle nationale. En effet, la région 17 est reconnue pour avoir un milieu communautaire actif. Une alliance potentielle avec le mouvement communautaire ainsi qu’avec le mouvement syndical est une nécessité pour faire face à un gouvernement de droite. Mutuellement Québec solidaire et les groupes communautaires auront certainement besoin l’un de l’autre. QS doit continuer de s’ancrer dans la réalité concrète des gens qui subissent le néolibéralisme décomplexé et, en cela, les organisations peuvent apporter une grande aide. À l’inverse, pour se faire entendre et pour bâtir un rapport de force avec l’État caquiste, le mouvement communautaire ne pourra se passer de QS comme caisse de résonnance et, surtout, comme allié politique à l’Assemblée nationale.
S’il est vrai qu’une gauche solidaire centricoise a émergé au-dessus des vieilles formations lors des dernières élections, celle-ci se retrouve devant de grands défis. Cependant, si elle se donne les bons outils et qu’elle se rapproche des mouvements populaires existants, la gauche centricoise pourrait bien soulever des montagnes. Après tout, c’est ce qu’on accomplit les militants et les militantes solidaires de la circonscription de Rouyn-Noranda-Témiscamingue en partant d’un score inférieur à celui de chacune des circonscriptions du Centre-du-Québec.
William Champigny-Fortier
Ex-candidat pour Québec solidaire dans Arthabaska
Victoriaville