La raison de la sécurité nationale pour caviarder crée un «mystère», dit un expert
OTTAWA — Le public et les médias sont confrontés à un «effet boîte noire» lorsque le gouvernement invoque des raisons telles que la sécurité nationale pour justifier de garder secrètes des informations, selon un expert entendu mardi par la commission sur l’ingérence étrangère.
«L’effet boîte noire, c’est essentiellement un effet par lequel le public se retrouve maintenu dans l’ignorance», a dit le professeur de droit à l’Université de Montréal Pierre Trudel.
Par exemple, lorsqu’un document n’est pas rendu public pour des raisons de sécurité nationale, le public et les médias se retrouvent selon lui devant «un mystère».
«Il ne sait souvent pas de quoi il s’agit, de quoi il est question, sur quoi ça porte, pour quelle raison l’information ne peut pas être divulguée et donc ça donne l’impression qu’il faut croire sur parole», a poursuivi le titulaire du Centre de recherche en droit public.
Un contrepoids à cet «effet de boîte noire» est nécessaire, à son avis, sans quoi la confiance envers les institutions risque d’être mise à mal.
«Le public peut estimer que la tentation peut être grande chez un décideur public d’invoquer l’exception (…) pour cacher des situations ou des faits qui ne relèvent pas de cette exception, mais viseraient par exemple à cacher une maladresse.»
Le professeur Trudel estime que le système judiciaire canadien est habilité à exercer un contrepoids lorsqu’il est appelé à certifier, en toute impartialité, que la divulgation de documents risque réellement de porter atteinte à la sécurité nationale.
«Nous disposons de juges qui ont l’indépendance, l’impartialité et la rigueur pour attester et rassurer le public sur l’existence et la réalité des raisons pour lesquelles on doit soustraire au public certains types d’informations», a affirmé l’expert.
À ses yeux, la juge Marie-Josée Hogue, qui préside les travaux de la commission sur l’ingérence étrangère, est bien placée pour exercer ce contrepoids.
Tout indique qu’elle sera confrontée à cette question au fil de son mandat, étant donné la quantité d’information protégée par le sceau de la confidentialité qui doit être examinée par la commission.
L’un des avocats de l’équipe de Mme Hogue a indiqué lundi qu’environ 80 % des documents reçus par la commission sont classifiés. Parmi ceux-ci, 80 % ont les cotes de protection les plus élevées, c’est-à-dire qu’ils sont considérés comme «très secrets» ou plus.
Depuis qu’elle a été nommée à la tête de cette enquête publique et indépendante, la commissaire Hogue insiste sur sa volonté de maximiser la quantité d’informations qui pourra être dévoilée au public.
L’avocat de la commission Gordon Cameron a précisé que cette dernière aura l’option de plaider auprès du gouvernement que, dans certains cas, la divulgation d’informations classifiées ne causerait pas préjudice à la sécurité nationale.
Dans le cas d’un désaccord entre la commission et Ottawa, la Cour fédérale pourrait avoir à trancher sur la divulgation, ou non, d’informations.
Un autre expert ayant témoigné mardi, Michael Nesbitt, a soutenu que la commission devra exercer de la pression pour «obtenir le portrait complet» et pour «partager le plus d’information possible». «Les commissions d’enquête sont mises en place pour des sujets importants seulement et sont souvent (…) l’une des seules quelques sources de transparence et donc de reddition de compte, alors elles doivent avoir la volonté de pousser au nom de nous tous», a dit le professeur à l’Université de Calgary.
Mme Hogue doit remettre un premier rapport au plus tard le 3 mai. Le rapport final est pour sa part attendu d’ici à décembre 2024.