La coroner Godin critique sévèrement la prestation de services en santé mentale

MONTRÉAL — Ce ne sera certainement pas la coroner Julie-Kim Godin qui tranchera quant à savoir si Amélie Champagne, 22 ans, avait ou non la maladie de Lyme lorsqu’elle s’est jetée dans le vide, du balcon du condo de ses parents, au 16e étage, en septembre 2022.

L’avocate soulève toutefois des lacunes importantes en matière de connaissances et de traitement de la maladie de Lyme et ajoute sa voix à tant d’autres qui ont critiqué le travail en silo des différentes institutions qui ont traité la jeune femme ainsi que le manque d’humanisme, de communication et de suivi en santé mentale.

«Dignité, compassion, courtoisie et bienveillance»

Elle presse d’ailleurs les différentes autorités médicales de faire ce qu’il faut pour que les médecins traitent leurs patients en santé mentale ou en crise suicidaire «avec dignité, compassion, courtoisie et bienveillance».

La coroner Godin affirme ainsi dès les premières lignes de la conclusion de son rapport rendu public mercredi, que son enquête «n’avait pas pour but de déterminer si Mme Champagne avait la maladie de Lyme». Elle précise que, de toute façon, «le fait que Mme Champagne était atteinte de la maladie de Lyme, ou non, ne change pas la cause de son décès, mes constats, ni mes recommandations».

Ce qui importe, estime-t-elle après avoir entendu près d’une cinquantaine de témoins en décembre et janvier derniers, c’est que «Mme Champagne avait l’intime conviction qu’elle était atteinte de symptômes persistants de la maladie de Lyme (ou d’une co-infection)» et que «son parcours médical et ses symptômes ont affecté son bien-être émotionnel et sa santé mentale».

Un parcours difficile

«Pendant plusieurs années, écrit-elle, Mme Champagne a été incommodée par divers symptômes non spécifiques et a consulté de nombreux médecins pour comprendre et trouver des solutions. (…) À travers le temps, elle a reçu plusieurs impressions diagnostiques changeantes et a vécu de nombreuses incertitudes. Certains lui ont dit qu’elle n’avait pas la maladie de Lyme, alors que d’autres lui disaient l’inverse.»

Bien qu’elle ait été référée à un spécialiste en microbiologie et infectiologie du réseau public de la santé, elle «n’a jamais réussi à obtenir de rendez-vous en raison des délais d’attente», attente qui a duré un an et demi sans résultat.

«Un usager est en droit de recevoir en temps opportun des services de qualité par le réseau de la santé pour approfondir l’évaluation de sa condition médicale et assurer une continuité dans sa trajectoire de soins. Il ne devrait pas être laissé sans soutien ni être contraint de chercher lui-même un médecin spécialiste», tranche la coroner.

Maladie de Lyme et santé mentale

Elle souligne par ailleurs que la jeune femme a vécu la même chose que plusieurs autres usagers présentant un diagnostic possible ou avéré de maladie de Lyme ou des symptômes persistants. Elle note que cette maladie complexe ne fait pas consensus dans le milieu de la santé, tant en termes de reconnaissance, de diagnostic ou de traitement. Elle parle même d’«incertitude» et de «confusion» auprès des professionnels de la santé.

Plus inquiétant encore, elle fait état d’un lien direct entre la souffrance et l’incertitude causée par cette maladie et le suicide, soulignant avec les données de l’Association québécoise de la maladie de Lyme, qu’«il existe une grande prévalence entre la maladie de Lyme et le suicide».

Julie-Kim Godin émet 19 recommandations visant divers intervenants de la santé, qu’il s’agisse du ministère, des institutions regroupées en Centres intégrés, du Collège des médecins, des regroupements d’omnipraticiens, d’infectiologues et microbiologistes ou de psychiatres, selon le cas.

Maladie de Lyme: faire mieux

Ces recommandations visent entre autres un meilleur corridor d’accès à des cliniques spécialisées en maladie de Lyme pour tous les patients où ce diagnostic est soupçonné ou confirmé ainsi qu’une sensibilisation des professionnels de la santé aux enjeux psychologiques liés à cette maladie.

Une série de recommandations visent le déploiement de mesures adaptées aux jeunes filles, aux adolescentes et aux jeunes femmes en détresse psychologique. Elle suggère aussi d’étudier les tentatives et suicides des usagers ayant demandé ou reçu des soins ou services du réseau de la santé.

Dans la même veine, elle recommande d’améliorer les urgences et unités psychiatriques et de cesser les transferts d’un hôpital à l’autre pour des motifs géographiques dans les cas de manifestations suicidaires ou de problèmes aigus en santé mentale.

Elle invite par ailleurs les autorités compétentes à procéder à une révision de la qualité de pratique et des gestes posés par divers professionnels de la santé qui sont intervenus auprès de Mme Champagne, de même que la conduite professionnelle et déontologique des médecins psychiatres de l’Institut Douglas et de l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke qui sont intervenus auprès d’elle en septembre 2022.

—-

Besoin d’aide?

Si vous pensez au suicide ou vous inquiétez pour un proche, des intervenants sont disponibles pour vous aider, partout au Québec, en tout temps.

Téléphone: 1 866 APPELLE (1 866 277-3553)

Texto: 535353

Clavardage, informations et outils: www.suicide.ca