Ottawa promet des milliards pour le NORAD, sans donner trop de détails
OTTAWA — La ministre de la Défense, Anita Anand, a annoncé lundi des milliards de dollars de nouvelles dépenses au cours des 20 prochaines années pour moderniser les systèmes de défense vieillissants de l’Amérique du Nord, dans une déclaration pleine de promesses, mais sans trop de détails importants.
Principal absent de cette annonce: l’échéancier des investissements, alors que de hauts responsables militaires canadiens et américains déplorent depuis des années les dangereuses lacunes dans la capacité du NORAD à détecter et stopper une attaque imminente sur le continent.
Le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), mis en place dans les années 1950, est destiné à détecter les menaces aériennes et maritimes visant l’Amérique du Nord, y compris les missiles et les avions.
Debout sur le tarmac de la Base de Trenton, en Ontario, devant plusieurs aéronefs militaires, dont un chasseur CF-18 amené là exprès pour l’occasion, Mme Anand a annoncé lundi que le Canada investira 4,9 milliards $ sur six ans dans la défense continentale conjointe. «Il s’agit de la mise à niveau la plus importante du NORAD, côté canadien, en près de quatre décennies», a-t-elle déclaré.
«En plus de ces investissements immédiats, ce plan est financé à long terme. Ce plan a une valeur totale d’environ 40 milliards $ sur les 20 prochaines années. Et il offrira de nouvelles capacités pour protéger les Canadiens pour les générations à venir.»
La ministre a ensuite énuméré cinq secteurs dans lesquels ces investissements se concentreront, en commençant par la mise en place d’un nouveau système de surveillance, qui comprendra des radars à longue portée et des capteurs capables de détecter les menaces venant de l’Arctique.
Le nouveau système remplacera le «Système d’alerte du Nord», une grappe de radars installés dans le Grand Nord canadien dans les années 1980 pour identifier les bombardiers russes qui approchent. Ce système constitue l’épine dorsale de la contribution canadienne au NORAD.
Pourtant, ni Mme Anand ni le chef d’état-major de la défense, le général Wayne Eyre, ou le lieutenant-général Alain Pelletier, commandant adjoint du NORAD, n’a pu dire exactement à quel moment le Système d’alerte du Nord sera remplacé.
Les responsables militaires canadiens et américains préviennent depuis des années que ce système est aujourd’hui pratiquement obsolète face aux développements récents des missiles à longue portée — une préoccupation qui a considérablement augmenté après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
«Lorsque nous aurons plus d’informations sur le moment précis du passage d’un système à l’autre, nous préciserons» l’échéancier, a déclaré Mme Anand. «En attendant, le Système d’alerte du Nord restera en place et sera exploité et entretenu.»
Des missiles de croisière sous le radar
En entrevue à La Presse Canadienne, le lieutenant-général Pelletier a reconnu les «limites» du système actuel, notamment pour détecter des attaques de missiles de croisière lancés par des bombardiers à longue portée survolant l’Arctique.
Il y a eu quelques indices quant au moment où de nouveaux radars seraient opérationnels. En mars dernier, les responsables de l’industrie ont été informés que l’armée espérait qu’un système radar «transhorizon» serait opérationnel d’ici 2028-2029, pour un coût estimé à 1 milliard de dollars.
Cependant, ce programme en est à ses balbutiements et le commandant Pelletier a reconnu que d’autres parties du système prévu sont encore en cours de développement.
Le gouvernement prévoit également d’ajouter davantage de systèmes de surveillance spatiaux, de moderniser les réseaux continentaux de communications et de commandement, et d’acheter de nouveaux missiles air-air et des avions de ravitaillement, tout en modernisant les infrastructures militaires dans l’Arctique.
Pourtant, aucune de ces initiatives annoncées par la ministre Anand n’incluait de prévisions de coûts, sans parler des échéanciers de mise en œuvre.
Il n’était pas clair non plus si et comment contribueraient les États-Unis, dont les responsables ont discrètement – et dans certains cas pas si discrètement – poussé le Canada à passer à la modernisation du NORAD.
La porte-parole néo-démocrate en matière de défense, Lindsay Mathyssen, a qualifié l’annonce de la ministre de «vagues promesses», accusant les libéraux de ne pas avoir agi avec la célérité nécessaire.
Même son de cloche des conservateurs: la porte-parole en matière de défense, Kerry-Lynne Findlay, a déploré que «malheureusement, le gouvernement Trudeau ait attendu sept ans avant d’agir (…) pour protéger notre frontière arctique».
Andrea Charron, professeure agrégée à l’Université du Manitoba et experte canadienne du NORAD, estime que l’annonce de lundi constitue seulement la première étape de ce qui sera un long processus, qui impliquera des négociations non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec les communautés autochtones du Nord.
«De nombreuses installations se trouveront en territoires autochtones, a souligné la professeure Charron. Et nous savons à quel point (le gouvernement) n’est pas toujours très doué pour parler aux bonnes personnes — et ces conversations prennent beaucoup de temps.»