La plaignante raconte «qu’elle n’avait plus le contrôle» d’elle-même

Il y avait foule, mardi matin, au palais de justice de Victoriaville. Il s’agissait d’une journée charnière du médiatisé procès de Jean-Christophe Martin, Dominic Vézina et Pierre-François Blondeau, puisque la plaignante se faisait entendre pour la première fois.

On a montré aux membres du jury l’interrogatoire vidéo réalisé par l’enquêteur François Beaudoin le 12 novembre 2014. L’adolescente, âgée de 15 ans à l’époque, y a raconté pendant plus de deux heures la soirée qui l’a menée au Complexe Sacré-Cœur de Victoriaville, puis dans la voiture de l’un des trois coaccusés et enfin à l’Auberge Hélène avant son retour à la maison le lendemain.

Elle y a rappelé son départ de Québec vers 19 h, le vendredi, pour se rendre à cette soirée «électro» organisée au Complexe Sacré-Cœur. Elle aurait partagé environ cinq shooters de téquila avec une amie dans l’autobus. Arrivée sur les lieux vers 21 h, elle s’est rendue dans la salle pour faire la fête.

Dansant près de la scène, elle dit avoir demandé à l’un des trois coaccusés une gorgée de bière pour étancher sa soif. Elle lui en a demandé une deuxième, avant que celui-ci ne lui en offre une complète. «Il avait les cheveux roux et une barbe rousse. J’ai su, plus tard, qu’il s’appelait Dominic Vézina», a-t-elle raconté à l’enquêteur.

La plaignante a pris la bière et a continué à danser. Le coaccusé lui a fait signe de le suivre un peu plus tard. «Je ne sais pas pourquoi, mais je l’ai suivi. Il m’a amené dans une petite pièce. Il m’a expliqué que c’était une loge. Je ne comprenais pas tout… On a commencé à se déshabiller et à avoir des rapports sexuels. Je ne comprenais pas pourquoi je faisais cela. Ce n’était pas vraiment mon genre. Au bout d’un moment, deux gars sont entrés et ils ont dit quelque chose comme : ah, tu ne nous as pas invités», a-t-elle expliqué.

Les deux autres hommes auraient alors commencé à participer aux ébats, des fellations ainsi que des relations sexuelles anales et vaginales non protégées. «Le gars qui m’a abordé avec la bière m’a alors demandé mon âge. Je lui ai dit que j’avais 15 ans», a-t-elle poursuivi. L’homme lui aurait dit qu’il était âgé de 21 ans.

Après cet épisode dans la pièce, les coaccusés et la plaignante seraient retournés dans la salle pour poursuivre la soirée. Celle-ci, à la surprise générale, s’est terminée plus tôt que prévu, vers 2 h 30, alors que les agents de sécurité ont fait sortir les participants de l’établissement.

La plaignante n’a pas regagné l’autobus pour retourner chez elle avec son amie, qu’elle a «perdue de vue tout au long de la soirée». Elle s’est plutôt retrouvée dans le véhicule de l’un des coaccusés. «Le gars qui m’a abordé en premier m’a pris par en arrière. Il ne m’a pas traîné de force… Je ne me souviens plus ce qu’il m’a dit et on est sorti. Mes souvenirs sont flous par la suite. J’ai embarqué dans une auto, une sorte de Jeep noir», a-t-elle expliqué à l’enquêteur, précisant que les rapports sexuels se sont poursuivis dans la voiture. «Je n’avais comme plus le contrôle de moi-même. Je ne savais pas où on était, ni on était quel jour. Je ne me souviens plus de tout. Ce sont comme des flashs qui me reviennent par moment. Je me rappelle que l’un des gars m’a pris dans ses bras et m’a amené dans la chambre d’hôtel», a-t-elle enchaîné.

La plaignante a dit se souvenir d’avoir vu un couple sur le deuxième lit de la chambre, sans cependant pouvoir l’identifier. Elle a rappelé la relation sexuelle qu’elle a eue dans la salle de bain, près du lavabo et sous la douche. «Je me souviens très bien que le lavabo était décollé du mur», a-t-elle répondu à l’enquêteur qui lui demandait de décrire les lieux.

Au bout d’un moment, elle dit avoir commencé à s’éveiller, à reprendre ses sens. «Je ne savais pas ce qui m’arrivait. J’ai mis le linge que j’ai pu trouver dans la chambre pour me rhabiller. Je ne sais pas comment, mais j’ai retrouvé mon téléphone pour appeler une amie. J’étais en panique totale», a-t-elle indiqué.

La plaignante dit avoir parlé avec son amie toute la nuit, n’ayant pas dormi. «Mon amie me répétait d’appeler quelqu’un pour qu’il vienne me chercher, mais je ne voulais pas le dire à mes parents parce qu’ils auraient été fâchés. On a parlé jusqu’à tant que mon cellulaire n’ai plus de batterie», a-t-elle dit.

Au réveil des coaccusés, ils ont repris la route vers Québec pour aller reconduire la plaignante. Celle-ci était assise au côté de celui qui l’avait abordé, la veille, près de la scène. «J’avais les jambes qui shakaient. J’étais sous le choc», a-t-elle lancé.

Dans la voiture, elle soutient qu’elle avait l’esprit ailleurs, ayant peu interagi avec les autres. «Je n’écoutais pas ce qui se passait autour de moi. Je n’étais pas là. Je fixais le GPS. À un moment, j’ai entendu l’un des gars dire que son père était avocat. Il semblait insister là-dessus. Un autre a dit qu’il avait une blonde. Les gars disaient des choses comme on ne s’est jamais vu, jamais connu ou encore bye, à jamais quand je suis sortie de l’auto», a-t-elle rappelé.

Craignant la réaction de ses parents, son premier réflexe a été de leur mentir à son arrivée chez elle. «Ce matin-là, je portais une camisole. On pouvait voir un peu ma craque de seins. On voyait qu’il y avait beaucoup de bleus près de mes seins. J’ai dit à ma mère que dans ces soirées, on danse et on se rentre dedans un peu», a-t-elle poursuivi, reconnaissant que sa mère ne semblait pas avoir cru son histoire.

La plaignante, à ce moment, n’avait pas parlé de sa soirée à personne, dit-elle. C’est en prenant sa douche un peu plus tard qu’elle a dit avoir «découvert les dégâts» sur son corps. «J’avais des bleus sur les seins, c’était incroyable. J’en avais sur les épaules, sur les côtes, sur les jambes et les fesses. Le médecin a dit que c’était des traces de morsures. J’avais des marques de mains sur les fesses. Le soir, je suis allée me coucher. Je n’avais pas encore pris connaissance de tout ce qui s’était passé. Le lendemain matin, au réveil, je ne comprenais pas pourquoi j’avais autant d’émotions. J’ai réalisé que je m’étais peut-être fait violer. Je me suis mis à pleurer», a-t-elle lancé.

La plaignante s’est quand même présentée au travail ce matin-là. Dès son arrivée sur les lieux, elle s’est mise à pleurer devant son patron. Elle s’est alors confiée dans un long entretien de près de trois heures. Celui-ci lui a conseillé d’en parler à ses parents et d’aller à l’hôpital, ce qu’elle a fait.

Au départ, rappelle-t-elle, elle n’a pas voulu porter plainte. «Ça ne me tentait pas de vivre l’engrenage judiciaire. Je ne voulais pas, non plus, faire vivre encore du stress à mes parents», a-t-elle dit. Des proches l’ont convaincue de dénoncer ces gestes au cours des jours suivants.

L’enquêteur, durant l’interrogatoire, lui a demandé si elle avait consommé des drogues ou autres choses que de l’eau, de la bière et des shooters de téquila. Elle a répondu par la négative. «Durant la soirée, j’étais là, mais quand même un peu saoule. J’étais quand même capable de me contrôler», a-t-elle indiqué.

En cours de soirée, alors qu’elle dansait près de la scène, elle a senti son état changer. «Je n’étais pas moi. Je ne m’étais jamais sentie comme ça. J’étais réveillé, mais je n’étais pas capable de me contrôler. J’avais comme un désir sexuel. Je ne sais pas trop ce que c’était. Ce n’était pas moi. J’avais envie de faire des choses, mais ça ne venait pas de moi. Habituellement, dans ce genre de party, je danse, mais là, j’avais le goût de… Pas de me frotter, mais c’était tellement bizarre. Le gars me disait de venir avec lui. Je l’ai suivi et je ne comprenais pas pourquoi», a-t-elle ajouté.

Au cours des jours qui ont suivi cette soirée, la plaignante, avec l’aide de membres de sa famille, a remis les pièces du puzzle en place. Grâce à Facebook, notamment, elle dit être parvenue à retracer les trois coaccusés. Elle a reconnu la voiture dans laquelle elle a pris place sur une photo de profil, notamment. À l’enquêteur, elle a identifié les trois individus durant l’interrogatoire. Elle a aussi confirmé avoir eu un échange écrit sur les médias sociaux avec l’organisateur de la soirée, qui s’est excusé pour la tournure des événements.

«Je ne sais pas comment il l’a su puisque j’avais demandé à mes amies de ne pas en parler. Il m’a dit qu’il m’avait vu sortir avec les trois gars, mais il croyait que j’étais consentante», a-t-elle expliqué.

L’interrogatoire vidéo a pris fin vers midi. La plaignante était sur place, pour être contre-interrogé par la défense, notamment. Le procès a été suspendu pour la pause du dîner avant de reprendre vers 14 h.

Les trois accusés font tous face à quatre chefs d’accusation d’agression sexuelle avec lésions sur une adolescente de moins de 16 ans, d’agression sexuelle avec la participation d’une autre personne, de contacts et d’incitation à des contacts sexuels.