Ne pas toucher, mais regarder et voir autrement
Le confinement puis la distanciation sociale ont suscité des doutes et des questionnements quant au besoin d’être touché, collé ou embrassé. Rien de mieux qu’une douce caresse pour se sentir bien! La dopamine, l’ocytocine et les endorphines sécrétées lors d’un câlin sont un médicament naturel à la déprime et au stress. Il n’est donc pas étonnant que la distanciation sociale soit difficile à respecter par les personnes les plus seules.
Pour certains, c’est tout un deuil que de devoir rester à distance des personnes aimées. Pour d’autres, cependant, c’est une pression de moins. Le besoin de rapprochement physique ne se présente pas de la même manière pour tous. Certains ressentent le besoin d’être très proches, d’autres ont besoin de plus de distance pour apprécier la relation avec l’autre et ainsi prendre le temps de développer leur confiance. Si le besoin d’intimité relationnel est essentiel, il en est de même pour le besoin d’intimité avec soi-même.
Le niveau d’intimité relationnel recherché est non seulement différent pour chaque personne, mais il l’est aussi dans des contextes différents et avec différents individus. Par exemple, on peut sentir une certaine gêne à s’approcher de son patron au cours de l’année, mais au party de Noël, on ne peut s’empêcher de lui faire la bise. Un peu gêné, on revient en janvier en se demandant comment cela a pu être possible. Une frontière invisible s’est remise en place parce que le contexte de travail a repris ses droits.
La régulation de l’intimité est une discipline importante de la psychologie sociale et clinique. Pour la définir simplement, nous pouvons dire qu’il s’agit du mécanisme de régulation des frontières entre soi et l’autre. C’est en quelque sorte la manière dont nous avons besoin de poser les frontières entre notre intimité interne et l’intimité avec l’autre. Les frontières seront plus ou moins perméables en fonction de ce qui se passe dans notre monde interne, de notre sentiment de «soi», de la confiance que nous pouvons donner à l’autre et de nos expériences relationnelles passées.
Être face à l’autre tout en maintenant la perception de sa différence avec l’autre, c’est le pilier de l’intimité saine. Ainsi, je peux respecter mes limites et mes besoins, tout en comprenant et en respectant ceux de l’autre. Ne pas se perdre dans l’autre, mais ne pas perdre l’autre pour n’être que soi. Il faut viser le compromis relationnel qui permet d’être «soi» tout en maintenant une confiance suffisante pour être dans le lien avec l’autre. Pas trop proche, pas trop loin! Cet équilibre précaire est essentiel au développement de l’estime de soi et à la construction de l’identité pour les êtres humains grégaires que nous sommes.
Alors que la régulation de l’intimité est habituellement une affaire de responsabilité individuelle, de besoin et de limite, les mesures de distanciation sociale viennent brouiller les repères que nous nous étions donnés. Une nouvelle norme sociale vient transformer notre rapport à l’intimité. Alors, comment répondre à nos besoins d’intimité relationnelle alors que nous devons garder une distance de deux mètres? Comment démontrer notre affectivité alors qu’on ne peut pas toucher à l’autre?
D’abord, il est important de se rappeler que nos cinq sens peuvent contribuer à créer de l’intimité relationnelle. Même si le toucher est très agréable et manifestement plus éloquent en termes d’affectivité, tous les sens peuvent contribuer à se rapprocher. Les recherches sur le développement de la Pleine Conscience nous apprennent qu’utiliser nos sens avec attention nous permet de prendre toute la mesure de l’expérience de nos sens.
L’écoute et le regard sont des sens importants pour entrer en contact avec l’autre et maintenir la mesure du rapprochement que l’on souhaite dans le lien avec l’autre. Se sentir entendu et regardé peut être un geste d’une petite ou d’une grande intimité en fonction de l’intensité de l’intention, mais aussi de la conscience que nous porterons à cette écoute ou à ce regard. Prenez le temps d’entendre et de voir l’affection de l’autre et prenez le temps de dire et de regarder avec affection. Un seul mot peut faire rougir quand il contient le souhait d’une intimité relationnelle, et cela, même à deux mètres. La pandémie est le catalyseur qui met nos ressources créatrices au défi de développer les gestes et les mots nécessaires à la création des espaces d’intimité désirés.