Vivre le deuil… autrement
Avec la pandémie du coronavirus, bien des choses ont changé dans plusieurs secteurs. Les services funéraires n’ont pas été épargnés et les entreprises spécialisées dans ce domaine ont dû faire face à de nombreuses transformations comme en témoigne Denis Desrochers, copropriétaire de Grégoire & Desrochers.
D’entrée de jeu, il indique que les rituels, tels qu’on les a connus, ont changé de façon radicale aussi rapidement qu’en huit semaines, ici comme ailleurs (et ce même si aucune maison funéraire de la MRC n’a eu à servir une famille pour un membre décédé de la COVID-19). «On m’aurait dit au début du mois de mars qu’on ferait des cérémonies virtuelles, qu’il serait maintenant acceptable de souhaiter les condoléances par un courriel, un texto, etc., j’aurais dit que ça n’a pas de bon sens», a-t-il lancé. Mais force est de constater, dans la situation actuelle, que c’est vite devenu la norme et même accepté socialement. «Pour certaines familles, où des membres sont plus craintifs ou vulnérables, c’est même souhaitable. Cela a changé la façon dont on signale notre sympathie par rapport à un deuil», note-t-il.
Tout a changé parce qu’il a fallu mettre en œuvre une panoplie de mesures de prévention. «Les familles sont maintenant beaucoup plus disciplinées et réceptives. Au début, il fallait négocier. Mais quand tu perds une personne que tu aimes et que malheureusement tu n’as pas pu lui dire adieu et qu’en plus on t’impose une façon de faire qui n’est pas naturelle, ça vient chambouler et ça laisse des traces», explique-t-il.
Il a donc fallu trouver des moyens de conserver l’humanité dans les services, en étant responsable et en accord avec ce qu’il est permis de faire. Un défi qui a été relevé rapidement chez Grégoire & Desrochers qui avait déjà en main un plan d’urgence (un protocole de pandémie), élaboré il y a quelques années lors du SRAS, avec tout le matériel de protection individuel qui s’y rattache.
«On n’arrête pas de sortir de nouvelles façons de faire pour permettre aux familles de vivre leur deuil, mais autrement. Je lève d’ailleurs mon chapeau à toute notre gang de jeunes directeurs, de jeunes conseillers funéraires, à ceux qui travaillent au laboratoire, qui ont fait des miracles avec des funérailles retardées, différées, faites de façon différente ou contenues dans une seule journée», élabore Denis Desrochers.
Parmi ces nouveautés, on retrouve des visites virtuelles au salon, des rencontres pour les arrangements en télé présence, des cérémonies Web diffusées, des hommages en images et par des montages photographiques. «Tout cela n’existait à peu près pas avant le début de mars. Le monde funéraire a donc changé de façon magistrale», estime-t-il.
La nouvelle réalité impose qu’il faille désormais faire respecter la distanciation, le lavage des mains, les marqueurs au sol, nettoyer les lieux communs plus fréquemment, etc. Les réceptions, après les funérailles, sont toujours interdites pour le moment, mais ça pourrait changer d’ici peu. «On permet 25 personnes à la fois, par famille, d’être à l’intérieur. Les visites sont publiques sauf qu’il faut faire comme à l’épicerie et attendre à l’extérieur s’il y a 25 personnes», compare-t-il.
Les installations ont aussi été modifiées et le personnel est formé régulièrement sur les nouvelles consignes. «Toutes les semaines, les rituels funéraires et notre offre évoluent. On est pendus aux lèvres du premier ministre et, en bon citoyen corporatif, on suit les consignes, qu’on adapte à notre réalité pour que ce soit sécuritaire et responsable», fait-il remarquer.
Manque de chaleur humaine
Tous ces changements, est-ce pour le mieux, se demande-t-on? «Oui et non, tempère-t-il. Ce qui manque le plus dans la crise actuelle, c’est la chaleur humaine.» M. Desrochers précise qu’il a choisi ce domaine justement pour les interactions avec les autres, tout comme l’a fait son équipe. Le manque de contacts physiques, humains, est pénible, notamment pour les familles en deuil. «Il va falloir apprendre à vivre avec ça tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas de vaccin. Avant cela, je ne crois pas qu’on pourra revenir à la normale. Du moins, nous ne pourrons l’encourager», précise-t-il.
Cela fait en sorte que même dans des circonstances aussi tristes que le décès d’un proche, il faut respecter les règles de distanciation sociale. Les accolades et poignées de main sont maintenant chose du passé et ont laissé leur place à un regard sincère accompagné d’une main portée au cœur.
Au début de la pandémie, plusieurs familles ont décidé, à cause des contraintes, de reporter les funérailles. «Dans notre cas, entre 35 et 40% ont fait ce choix.» Mais, deux mois plus tard, certaines ont rappelé ayant changé d’idée, le report étant trop difficile à vivre et empêchant de totalement faire son deuil. «Pour eux, ça devient trop pesant à porter de n’avoir rien fait», remarque-t-il.
Les endeuillés ont également ce besoin, comme le souligne M. Desrochers, d’avoir une vague d’affection. «C’est ce qui permet de passer à travers et en l’absence de cela (bien que le virtuel peut faire l’affaire même s’il n’en demeure pas moins un facsimilé), ce n’est pas tout à fait authentique.»
Des changements pas anodins
Tous ces changements rapides dans les rites funéraires pourraient bien causer des séquelles psychologiques sur les endeuillés. Sans compter l’aspect social (des réunions de famille) qu’on retrouvait souvent lors de funérailles qui est maintenant dilué grâce (ou à cause) aux outils informatiques en place, désormais nécessaires.
«Nous sommes en réflexion sur la façon dont nous allons gérer le «après». Il est question de créer des événements, un an après les funérailles, pour permettre aux familles de se retrouver et de célébrer la vie de la personne décédée et en profiter en même temps pour se rencontrer. Il faut être capable d’être assez sensible et perspicace pour créer des ponts afin que l’invivable devienne vivable», souhaite Denis Desrochers.
L’offre de service est donc complètement différente de ce qu’elle était pré-Covid-19. D’ailleurs, on le voit bien simplement avec la popularité des cérémonies extérieures, à la rotonde, chez Grégoire & Desrochers à Victoriaville. «Tout le monde veut aller à l’extérieur parce qu’on peut accueillir davantage de gens tout en respectant la distanciation, ce qui est difficile à l’intérieur», fait-il remarquer.
En renfort
Si la maison funéraire n’a pas eu à gérer un décès lié directement au coronavirus, le personnel est venu en aide à d’autres maisons pendant le confinement. «On a supporté nos confrères dans des périodes plus critiques», a-t-il indiqué. Qu’il s’agisse de transports, d’aller chercher des dépouilles, faire des crémations, offrir du support matériel ou de personnel, aller faire des funérailles, cette aide est normale et naturelle pour Denis Desrochers. «On le faisait en dehors de la pandémie. Il y a beaucoup d’entraide, en tout temps», précise-t-il.
Le fait que chez Grégoire et Desrochers on était prêts à réagir face à la pandémie a permis d’avoir cette latitude d’aider les autres.