Réservoir Beaudet : le projet suscite des questions
Durant trois heures, et de façon virtuelle, mardi soir, le projet de restauration du réservoir Beaudet de Victoriaville a fait l’objet de discussions à l’occasion de la première séance de la consultation ciblée tenue par la commission d’enquête du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).
Le président de la commission, Georges Lanmafankpotin, animait la rencontre ponctuée de questions et d’opinions de citoyens, de réponses et d’observations de représentants de la Ville de Victoriaville, des MRC d’Arthabaska et de L’Érable, du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) et d’organismes.
C’est le ministre de l’Environnement, Benoît Charette, qui a confié au BAPE le mandat de tenir une consultation ciblée à la suite d’une requête reçue. La consultation, a précisé le ministre, doit cibler les sujets relatifs à l’identification des processus d’érosion des berges de la rivière Bulstrode qui crée un apport en sédiments dans le réservoir Beaudet. «Elle devra également cibler les stratégies possibles quant au financement d’actions qui permettraient de réduire cet apport dans la réservoir et d’améliorer la stabilisation des berges», écrit aussi le ministre dans le mandat.
En début de consultation, le requérant, Cédric Allaire, un résident et producteur agricole de Saint-Norbert-d’Arthabaska, s’est fait entendre, déplorant l’iniquité dans le dossier. «On met tous les efforts au lac (réservoir) sans agir où se situe le problème, soit sur les berges ou directement dans la rivière. On ne met pas le doigt sur le bobo, a-t-il noté. Pour nous, on continuera à subir de plus en plus de pertes de nos terres. On est même rendu à craindre pour des maisons et des fermes qui menacent de partir à l’eau.»
Le requérant a fait savoir qu’il avait des solutions à proposer, des solutions nécessitant cependant «une flexibilité, une ouverture d’esprit de la Ville, des producteurs et du ministère de l’Environnement».
Le projet
Le président a ensuite cédé la parole au responsable du projet, Joël Lambert, directeur adjoint au Service de l’environnement de la Ville de Victoriaville.
Il a rappelé la problématique vécue au réservoir Beaudet, une infrastructure aménagée en 1977 afin d’alimenter l’usine d’eau potable. «Il s’agit d’une réserve d’eau pour notre usine. Auparavant, on puisait l’eau directement dans la rivière Bulstrode», a-t-il noté.
Mais, au fil des ans, beaucoup de sédiments se sont accumulés dans le réservoir, faisant ainsi en sorte de diminuer le volume d’eau disponible. «Avec moins de profondeur, l’eau se réchauffe, les plantes aquatiques prolifèrent et notre réservoir est en train de se transformer en marécage. Et on ne peut pas se permettre de puiser notre eau dans un marécage», a indiqué Joël Lambert.
De nombreuses études, plus de 25, ont été réalisées entre 2011 et 2017. Même qu’à un moment, le plan d’action s’orientait vers les sols agricoles et forestiers. Tout a été chamboulé avec la parution d’une étude de traçabilité des sédiments qui a révélé, en 2017, que 88% des sédiments provenaient de l’érosion des berges de la rivière.
Avant d’opter pour son projet de plus de 40 M $, prévoyant des opérations récurrentes de dragage dans le réservoir, la Ville de Victoriaville a étudié et analysé d’autres mesures potentielles. «Le transport sédimentaire dans la rivière constitue un processus naturel, d’envergure. L’application de méthodes envisagées semble être inefficace afin d’éliminer, de façon durable, l’ensablement du réservoir. Peu importe la méthode, les sols continuent de s’éroder et les sédiments ne cessent de s’accumuler», a fait valoir M. Lambert, en concluant que, pour régler la problématique à Victoriaville, le projet retenu constitue «la solution la plus durable».
Quant à la problématique des pertes de terres agricoles, les études montrent, selon lui, qu’elle n’est pas liée au réservoir Beaudet. «Ce sont deux enjeux différents, indépendants. Et on ne trouve pas de solutions qui règleraient les deux en même temps», a confié le représentant de la Ville de Victoriaville, conscient cependant qu’il en existe des solutions pour les terres agricoles.
Observations citoyennes
Un acériculteur, Guillaume Allaire, a profité de la séance pour partager son opinion et suggérer une piste de solution : le redressement de la rivière. «Il faudrait la mettre droite le plus possible. Ça améliorerait la situation pour plusieurs années. Sinon, ça n’arrêtera jamais. Si on la laisse aller, elle ira jusqu’aux maisons, jusqu’à mon érablière», a-t-il soutenu.
Interrogée par le président sur cette possible solution, Isabelle Nault du MELCC a fait savoir qu’elle ne pouvait se prononcer. «Nous n’avons aucun projet à l’étude en ce domaine. On ne peut dire si ce serait positif ou négatif», a-t-elle répondu.
Pour sa part, Pascale Biron, enseignante à l’Université Concordia, a fait savoir que de nombreuses études ont été réalisées dans le passé. «Elles montrent que la rivière va tendre à revenir à son parcours plus sinueux. De plus, au moment où on redresse et on transforme le lit de la rivière, ça devient un peu comme une autoroute qui transporte les sédiments. Ça peut donc accroître le transport des sédiments», a-t-elle précisé.
De son côté, Mathieu Lemay de CIMA + souligne, qu’avec les caractéristiques naturelles de la rivière engendrant un transport sédimentaire important, «les mesures d’intervention sur les berges ou encore réparties sur le bassin versant seront toujours insuffisantes pour éliminer la nécessité d’intervenir par dragage au réservoir Beaudet».
Un autre citoyen, Ghislain Boulanger, un producteur agricole, juge impératif que des travaux soient effectués dans le lit de la rivière et sur les berges en certains endroits ciblés.
Selon lui, les coûts initiaux pourraient être assumés par les propriétaires et le gouvernement. Par la suite, chacun des propriétaires pourrait, comme à l’époque, a-t-il noté, voir à l’entretien de son bout de rivière, de la stabilisation des berges.
Tout n’est pas joué
Le recours au dragage à long terme dans le réservoir Beaudet s’avère-t-il la solution, a questionné le président de la commission d’enquête qui a demandé à Joël Lambert comment ce projet s’insérait dans une optique de développement durable.
«En fait, on n’a pas vraiment d’autres choix que de draguer, a répondu le responsable du projet. On ne peut laisser aller notre réservoir. Si on le fait, c’est l’approvisionnement en eau potable de la Ville de Victoriaville qui est en jeu. Du point de vue social, on a absolument besoin de notre eau. Du côté économique, c’est le projet le plus rentable pour atteindre nos buts. Et c’est aussi, côté technique, un projet qui nous permet d’atteindre nos objectifs à moindres coûts possibles et qui s’inscrit dans une vision à long terme.»
Le président Georges Lanmafankpotin a demandé aussi l’opinion d’Yvan Tremblay du MELCC quant au projet de dragage annuel.
À cela, le représentant du ministère a fait savoir que le projet n’est pas terminé. «Il reste l’analyse environnementale à finaliser. Donc, le projet peut encore changer. Il y a des solutions à la lumière des résultats d’études déposées, de l’information a été véhiculée dans ces études et dans une séance comme ce soir. Pour nous, il s’agit de sources d’information qui nous permettront de voir s’il existe d’autres alternatives pour distancer ces dragages et minimiser l’approche de dragages récurrents. Notre approche vise d’éviter le plus possible de retourner dans le cours d’eau ou dans le réservoir pour y effectuer des dragages», a-t-il expliqué.
La consultation ciblée virtuelle reprendra ce soir (mercredi), 19 h 30, sur le site du BAPE. Sept autres citoyens ont exprimé le souhait de se faire entendre.
Une fois terminée la consultation ciblée, la commission d’enquête devra remettre un rapport au plus tard le 14 septembre au ministre Charette qui disposera de 15 jours pour le rendre public.