Longue bataille contre le système

Sa vie a basculé, comme bien d’autres aussi, en août 2010 alors qu’un épouvantable drame survient, le meurtre de Rémy Allaire. Karine Grenier et son conjoint étaient alors (et sont toujours) propriétaires de l’immeuble de la rue Saint-Jean-Baptiste à Victoriaville, là où se sont déroulés les événements d’une horreur indescriptible. La femme a craqué et se bat toujours pour obtenir une juste indemnisation.

Les meurtriers, Patrick Lavoie et Vanessa Tremblay, ont brièvement habité l’un des logements de l’immeuble. « C’était un bail au mois au nom de Patrick Lavoie. Il l’avait loué le 1er août », se rappelle la propriétaire qui a eu maille à partir avec lui. « Ils nous achalaient. Un jour, au téléphone, il affirme que quelqu’un est entré par effraction et qu’il allait sacrer son camp. Il n’était pas gentil, c’était très agressant », se remémore Karine Grenier.

Peu de temps après, en début de soirée ce même jour, elle se rend à l’immeuble avec son conjoint, en prenant soin d’informer la Sûreté du Québec. Ce même soir, on découvre derrière le véhicule de la victime portée disparue quelque temps plus tôt.

Karine Grenier apprend d’une voisine que Patrick Lavoie a bien quitté les lieux en plaçant des bagages dans le coffre de la voiture à sa mère venue chercher les deux locataires. « Il avait tout barricadé, changé toutes les serrures pour être certain qu’on n’entre pas », mentionne-t-elle.

Une fois à l’intérieur, la propriétaire détecte du sang séché et se doute bien de quelque chose d’anormal. Finalement, les policiers boucleront la scène, son analyse révélera ce qui s’y est produit.

Dès ce moment, tout a déboulé pour Karine Grenier qui a été interrogée une grande partie de la nuit au poste de police pour raconter tout ce qu’elle savait.

Elle n’a guère apprécié, par ailleurs, les journalistes qui ont commencé à affluer. « Ils me bombardaient, ils voulaient entrer dans l’immeuble pour filmer. On a dû mettre une clôture, ça n’arrêtait jamais », relate-t-elle.

Et puis, comme il lui fallait témoigner lors des procédures judiciaires, la peur et le stress l’ont envahie. « J’étais sous le choc. Je ne voulais pas témoigner. J’ai vécu un calvaire. J’avais peur de tout, peur qu’il (Patrick Lavoie) ait une gang avec lui », dit-elle.

Karine Grenier occupait à ce moment un emploi à l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska. « J’ai dû consulter un médecin. C’était le 20 août. J’étais incapable de fonctionner. Je n’étais pas en mesure de travailler, ni même de faire l’épicerie, incapable de conduire mon auto », raconte-t-elle.

Elle a bénéficié, assure-t-elle, d’un congé d’un mois et demi. Et bien qu’un médecin ait évoqué le choc post-traumatique, la dépression, l’angoisse et la panique, on la renvoie au boulot. « Je pleurais, je paniquais. Je n’étais pas fonctionnelle. J’aurais dû obtenir le soutien de mon employeur et même de mon syndicat », souligne-t-elle.

En 2016, ne sachant trop à quel saint se vouer, Karine Grenier adresse une demande à la Régie des rentes pour l’obtention d’une rente d’invalidité. On lui a récemment donné raison pour une indemnisation, mais l’organisme ne recule que jusqu’en 2016. « On ne peut faire plus, m’a-t-on dit, parce qu’il y aurait eu fautes médicales. Pourtant, les séquelles perdurent depuis 2010. »

La reconnaissance par la Régie de l’invalidité jusqu’en 2016 a aussi amené l’IVAC (Indemnisation des victimes d’actes criminels) à une telle reconnaissance.

À la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), on lui a signifié la complexité de son dossier, note-t-elle, tout en lui suggérant de consulter un avocat. Ce qu’elle avait déjà fait, en 2018, avec le réputé avocat Me Marc Bellemare, spécialisé dans les domaines des accidents de la route et des victimes d’actes criminels. Elle lui avait raconté son histoire, lui précisant qu’elle avait tout perdu, son emploi, qu’elle n’était plus assurable et qu’elle ne pouvait toucher non plus l’aide de dernier recours (aide sociale).

L’avocat lui avait alors suggéré, même si elle était hors délai, de monter un dossier et de refaire toute l’histoire dans l’éventualité de fautes quelque part. Des erreurs, des fautes, Karine Grenier affirme en avoir relevé. Son histoire, finalement, comporte de nombreux rapports, des centaines de pages, assez pour occuper toute une table de cuisine.

Avec l’indemnisation reçue jusqu’ici, Karine Grenier en a consacré une bonne partie pour défrayer les frais d’avocat et d’expertises. « J’ai pu avancer », assure-t-elle.

Des rapports font état de séquelles dès 2010. Ce qui fait qu’elle combat pour que l’indemnisation couvre réellement toute la période. « On est dans le dernier droit avec Me Bellemare. Mon but est d’aller chercher le plus possible, qu’on paie pour les séquelles qui m’affligent depuis 2010, qu’on recule jusqu’aux événements », explique-t-elle, tout en déplorant « la succession d’erreurs depuis le début », de ne pas avoir été prise au sérieux.

Aujourd’hui encore, elle est toujours suivie, affirmant ne pas aller beaucoup mieux. « Les sons, les bruits m’agressent. Je n’ai pas souvenir de voyages que j’ai faits avec les enfants. Si on m’avait prise en charge adéquatement et si j’avais reçu de bons soins, je n’en serais pas là et j’occuperais encore mon emploi », conclut-elle.