Ferme des Blés d’or : troquer le porc pour des insectes

C’est un virage à 180 degrés qu’a fait la Ferme des Blés d’or, il y a deux ans, en abandonnant la production porcine pour se lancer dans l’élevage…d’insectes!

Son choix s’est arrêté sur le ténébrion meunier, un coléoptère adapté à l’alimentation humaine et animale. «On l’a choisi un peu pour la facilité de production. Il vit dans du substrat sec et, contrairement à un grillon, par exemple, il ne saute pas. Il ne vole pas non plus. On n’a donc pas besoin de le contenir dans des boîtes ou dans une pièce fermée. On le place tout simplement dans un bac. C’est simple à manipuler», explique le vice-président et directeur général de la ferme, Antoine Ménard.

La ferme de Sainte-Marie-de-Blandford exploite actuellement 3500 bacs. Elle produit environ 200 kilos de larves fraîches par semaine. «À toutes les semaines, on fait une récolte d’œufs qui vont se transformer en larves et croître pendant 10 à 12 semaines.»

La majorité de sa production est destinée à l’alimentation animale. Ses principaux clients sont des fournisseurs d’animaleries. «La consommation humaine, c’est très faible, dans ce qu’on produit. C’est quelques kilos par année, une cinquantaine, peut-être.»

Le marché est cependant appelé à grossir, croit Antoine Ménard, qui prévoit d’ailleurs augmenter son nombre de bacs à 6000 d’ici la fin de l’année. «Il y a un bon potentiel de croissance à long terme», dit-il. Et sa ferme est en bonne posture pour y faire face, puisque la production actuelle occupe à peine 25% de la bâtisse…

«Présentement, nos clients sont juste au Québec. Il y a de l’exportation possible, en Europe et aux États-Unis notamment», exprime Antoine Ménard. Mais avant d’en arriver là, la ferme vise à atteindre un prix de vente compétitif par rapport aux prix très bas de la Chine, qui domine le marché. «C’est réaliste», s’enthousiasme le directeur général, dont l’objectif est d’offrir un produit de base facilement accessible, à bon prix et prêt à être transformé.

«Les animaux domestiques, c’est un gros marché. En ce qui concerne l’alimentation humaine, c’est à développer», poursuit celui qui prône le démarrage de davantage de projets dans ce secteur. «Une plus grande diversité, une meilleure accessibilité et plus de renseignements, c’est ce que ça va prendre pour que les gens s’habituent à manger des insectes. Pour l’instant, les consommateurs se posent plein de questions : qu’-est-ce que c’est, d’où ça vient et quoi faire avec. Ça prend plus de petites entreprises prêtes à faire cet enseignement.»

Déjà un joueur majeur au Québec…

C’est en 2018 qu’Antoine Ménard a commencé à s’intéresser aux insectes. «J’ai vu un reportage à la Semaine verte sur Entomo Farms, en Ontario. Il y a eu un déclic dans ma tête. Je me suis dit qu’un jour, peut-être, on pourrait faire ça dans la ferme. J’ai donc décidé d’explorer cette production à petite échelle, dans mon sous-sol. J’essayais de voir si ça pouvait être rentable d’en faire une entreprise. À l’époque, ça allait encore super bien à la ferme porcine.»

C’est en 2021, avec la pandémie, que le vent a viré tant pour l’industrie du porc que pour la maternité porcine fondée en 1995 par le père d’Antoine Ménard. «Il y avait des problèmes dans les usines. La Chine s’est mise à produire plus de porcs et a moins importé, ce qui a réduit la demande, fait chuter les prix et engendré des surplus de porcs au pays. L’industrie est devenue moins rentable et plusieurs fermes porcines ont fermé. Ici, on nous a annoncé que notre contrat n’était pas renouvelé. Il fallait vraiment commencer à penser à un virage», raconte Antoine Ménard.

Comme il avait déjà son projet d’entomoculture en tête, il a accéléré les démarches avec l’accord de la famille (son père, sa mère et son frère, qui sont coactionnaires) et l’a implanté dans le bâtiment de la ferme. «Ça nous a donné un plan B rapide…»

Un plan d’affaires a été réalisé et une agroéconomiste a pu établir la viabilité du projet. «Financièrement, ça faisait du sens. Alors on s’est lancé! Les truies sont sorties en mars (2022) et on a démarré officiellement en avril.»

Toutefois, la réalité a quelque peu divergé des prévisions. «On s’imaginait que l’industrie des insectes était plus structurée et qu’il y avait déjà une demande pour du gros volume, ainsi que du roulement.» Il a fallu réajuster le tir en cours de route. «Les premières entreprises avec lesquelles on a fait affaires n’étaient pas prêtes pour ça. On s’est donc trouvé d’autres clients et on s’est rapproché des consommateurs.»

Ce repositionnement a permis à la Ferme des blés d’or de tirer son épingle du jeu. Elle est devenue la plus grande productrice de ténébrions meuniers (vers de farine) au Québec, et elle figure parmi les six plus importants producteurs d’insectes de la province, toutes espèces confondues, évalue Antoine Ménard.

La ferme de Sainte-Marie-de-Blandford est aussi la toute première du genre à avoir obtenu une autorisation du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques pour démarrer son élevage. L’industrie de l’entomoculture n’étant pas réglementée au Québec, cette autorisation n’est pas requise, mais Antoine Ménard la jugeait pertinente.

«C’était un prérequis pour produire en tant que producteurs de porcs, alors on voulait faire la démarche pour éviter les mauvaises surprises et faire reconnaître notre élevage comme une production agricole.»

Un élevage plus vert

Le virage entrepris a par ailleurs permis à la ferme de réduire considérablement son empreinte environnementale, notamment en abaissant son taux de phosphore produit et ses émissions de gaz à effet de serre.

«Les insectes ont une faible empreinte environnementale. Par exemple, ils utilisent peu d’eau et leur fumier, qui ne dégage pas d’odeur, est valorisé en un engrais organique très riche en azote et en phosphore, nommé frass. Cet engrais se compare avantageusement aux fumiers de poulet et gagne en popularité. Le nôtre est certifié biologique», explique Antoine Ménard, qui accorde une grande importance au développement durable.

D’ailleurs, lorsque les besoins énergétiques de la ferme le justifieront, l’utilisation de la biomasse, de la géothermie ou d’un autre système sera étudiée pour remplacer le chauffage au propane actuel. «Il y a quelques options», analyse à voix haute Antoine Ménard, qui a mille et une idées pour bonifier son entreprise qui sort des sentiers battus.