District 31 véhicule de fausses informations sur le VIH
La très populaire série télévisée District 31 vient peut-être d’anéantir, en l’espace de quelques secondes, des années de travail de sensibilisation à la stigmatisation et la discrimination des personnes vivant avec le VIH/sida au Québec.
C’est, du moins, la conclusion à laquelle en est arrivé le Bureau de lutte aux infections transmises sexuellement et par le sang, ainsi que plusieurs autres acteurs oeuvrant pour la cause du VIH/sida, à la suite de la diffusion des épisodes du 6 et 10 décembre derniers.
Mise en contexte
Lors des deux épisodes de la série dramatique quotidienne District 31, une enquête portant sur un cas de non-divulgation du statut de séropositivité est abordée dans le déroulement du récit. Bref, on y voit une femme séropositive connaissant son statut qui est soupçonnée d’avoir transmis le VIH de façon délibérée à son mari ainsi qu’à d’autres partenaires sexuels.
Incohérences et désinformation
Le sujet abordé n’est pas un problème en soi, mais c’est dans le traitement de l’information et dans les répliques des comédiens que tout part en vrille. Effectivement, on répète à de nombreuses reprises qu’il est criminel de ne pas dévoiler son statut sérologique à son partenaire avant une relation sexuelle lorsque l’on connait son statut… c’est faux!
Selon la loi, s’il y a port du condom et que la charge virale de la personne séropositive est faible ou indétectable (200 copies et moins par millilitre de sang), celle-ci n’est pas dans l’obligation de dévoiler son statut, puisqu’il n’y a pas de «possibilité réaliste de transmission». Les répliques des acteurs manquent de précision et varient d’une prise à l’autre. Parfois, on parle de relation sexuelle non protégée et parfois de relation sexuelle point. Pour les personnes qui ne possèdent pas de connaissances approfondies sur la loi entourant la divulgation du statut sérologique, ça peut porter à confusion et laisser place à une interprétation erronée des mesures législatives mises en place à ce jour; qui sont elles-mêmes complètement aberrantes, disproportionnées et font présentement l’objet de réformes au fédéral.
Par ailleurs, dans le scénario, on sait que la protagoniste (celle qui est porteuse du VIH) connait son statut depuis trois ans et qu’elle est suivie par son médecin qui est au fait de sa séropositivité. Il est incohérent qu’une personne connaissant son statut sérologique et qui bénéficie d’un suivi médical ne soit pas sous traitement antirétroviral. Lorsqu’une personne est testée positive au VIH/sida, elle est immédiatement prise en charge par le système de santé. Elle est d’abord référée à un infectiologue qui sera en mesure de lui prescrire un traitement antirétroviral adéquat. Un suivi rigoureux s’en suit, sur une base mensuelle au départ. L’infectiologue effectue une prise de sang à chaque rendez-vous afin d’évaluer la quantité du virus présent dans le sang (charge virale). Il a même été récemment démontré (il y a consensus scientifique) qu’une personne vivant avec le VIH ne transmet pas le virus par voie sexuelle si elle suit un traitement antirétroviral et maintient une charge virale indétectable («indétectable = intransmissible»).
Finalement, il semble aussi aisé pour les enquêteurs d’avoir accès au dossier médical d’un citoyen que d’acheter du lait à l’épicerie… détrompez-vous c’est beaucoup plus complexe que ce qui est suggéré dans l’émission!
«Une tueuse en série»
Comble de la gaffe, le personnage responsable de l’enquête qualifie la suspecte de «tueuse en série» à titre de conclusion… Cette déclaration représente en tous points comment quelques secondes de télévision peuvent sérieusement compromettre des années de travail investi dans la sensibilisation de la discrimination et la stigmatisation que vivent quotidiennement les personnes vivant avec le VIH (PVVIH).
Premièrement, le VIH/sida ne tue pas et les personnes séropositives encore moins. Cette maladie se traite et, pour votre information, il n’y a qu’un seul cas répertorié dans l’histoire du Québec dans lequel on a démontré qu’il y avait eu transmission de manière délibérée. Contrairement à ce qui est véhiculé dans la série produite par Aetios Productions inc et diffusée par CBC/Radio-Canada, les PVVIH sont la majorité du temps des victimes. Elles font régulièrement l’objet de discrimination, de stigmatisation et intimidation.
En plus de la décrier comme «une tueuse en série», on mentionne également que les PVVIH sont une menace pour la «sécurité publique» ou encore «un danger pour la santé publique». La quotidienne écrite par Luc Dionne a rejoint 1,2 million de personnes lors de la diffusion de son premier épisode de la présente saison. Il est consternant pour un organisme œuvrant pour la cause du VIH/sida de constater qu’on aborde cet enjeu de façon aussi peu rigoureuse dans une réalisation qui a cette portée auprès de la population du Québec. Sans compter que l’ensemble de cette controverse a eu lieu moins d’une semaine suivant la Journée mondiale du sida (1er décembre) est d’autant plus frustrant.
Il est extrêmement décevant pour le BLITSS et l’ensemble des organismes œuvrant pour la cause du VIH/sida, d’entendre de tels propos sur nos réseaux télévisés alors qu’on éprouve de la difficulté à transmettre la bonne information au grand public. D’autant plus qu’ICI Radio-Canada est une société d’État. Il s’agit donc d’un canal de diffusion publique qui a une responsabilité supplémentaire à l’endroit de ses téléspectateurs. La véracité des informations qui y sont transmises doit d’être irréprochable, puisque la population en est le principal bailleur de fonds.
C’est avec un goût amer que nous avons rédigé cet article. Le mouvement de lutte visant à enrayer la discrimination, la stigmatisation et la criminalisation des personnes vivant avec le VIH commence tout juste à faire des gains sur la scène nationale. Nous parlons ici de plusieurs années d’efforts acharnés qui ont peut-être été balayés du revers de la main en quelques secondes par un récit fictif qui a abordé des enjeux réels de façon inexacte, inappropriée et avec négligence. Nous considérons que c’est le genre d’événement qui peut sérieusement nuire à la prévention du VIH/sida, puisqu’il a été clairement démontré que la criminalisation, la stigmatisation et la discrimination ont un effet négatif sur le dépistage; ça, c’est un danger pour la santé publique.