Agressions à caractère sexuel : Sarah Bureau veut lever tous les tabous

AGRESSION. L’affaire Jutra aurait précipité la diffusion à Télé-Québec de la minisérie documentaire Justice réalisée par Catherine Proulx, dont le premier des trois épisodes (le lundi 29 février) s’attarde à l’histoire de la Victoriavilloise Sarah Bureau. Il y a un peu plus de cinq ans, elle avait raconté à La Nouvelle Union les agressions sexuelles dont elle avait été victime alors qu’elle était encore une enfant.

Le premier épisode de la minisérie traite des victimes d’actes criminels, le deuxième des ex-détenus et le troisième des jeunes contrevenants.

Sarah Bureau a accepté de participer à la minisérie pour les mêmes raisons qu’elle avait publiquement révélé son lourd secret et toutes les étapes par lesquelles elle était passée.

L’ex-directrice générale du Centre communautaire d’Arthabaska a vécu le long processus judiciaire, même une rencontre face à face avec son agresseur, qui avait été, plus de trois décennies auparavant, l’amant de sa mère.

Pas de pardon

«Je veux lever tous les tabous possibles», dit-elle, prévenir, sensibiliser, permettre à des victimes d’actes criminels à caractère sexuel de dénoncer. Il y a plusieurs façons de le faire, précise-t-elle. Les victimes peuvent recourir au système traditionnel de justice. Elles peuvent aussi s’ouvrir à leurs parents, à leurs proches.

Elles peuvent également passer par la justice réparatrice. Curieusement, elle dit que la justice réparatrice est celle qui «humanise le crime». Rien à voir avec la «culture du pardon», insiste-t-elle, signalant qu’elle ne pourra jamais pardonner l’inacceptable.

Par les voies judiciaires traditionnelles, la victime devient en quelque sorte le témoin de son histoire, déplore-t-elle. «Les procédures sont longues, trop longues et tout ce temps d’attente, c’est de la torture. On y perd sa liberté d’expression.»

Dans son cas, c’est grâce à des rencontres entre victimes et agresseurs, qu’elle a pu commencer à se libérer de la culpabilité, de la responsabilité, de la honte. Ce serait d’ailleurs tous ces sentiments qui emmureraient les victimes dans le secret, voire le déni.

Sarah Bureau regrette que le système judiciaire n’intègre pas la justice réparatrice et que le Québec – comme d’autres provinces – ne se dote pas d’un système de mesures de rechange pour désengorger la cour des délits mineurs.

Et il n’y a à peu près pas de ressources de justice réparatrice au Québec. Et le seul centre est menacé, souligne-t-elle. «Chez nous, il n’y a que Pacte Bois-Francs qui fait de la médiation pour les jeunes contrevenants.»

Parce que, depuis cinq ans, elle participe, de son témoignage, à des symposiums, des colloques dans des universités où l’on forme des criminologues, elle avait pu participer, il y a deux ans, à convaincre Christiane Taubira, alors ministre française de la Justice, d’instaurer la «justice restaurative».

Le côté sombre de Jutra

L’affaire Jutra a permis, dit-elle de chasser un autre tabou. Il y a longtemps qu’elle plaide pour que les victimes masculines puissent aussi obtenir des ressources. Le Centre d’aide et de lutte contre les agressions sexuelles (CALACS) Unies-vers-Elles de Victoriaville est un des rares du réseau à tendre aussi la main aux hommes.

Le Jean – que Sarah écrit aussi «Gens» – qui, de façon anonyme, a révélé à La Presse les attouchements du cinéaste démontre, aux yeux de la Victoriavilloise, qu’il n’y a pas que les femmes qui soient victimes d’agressions. «Et cela montre aussi qu’il n’y a pas de services pour ces Jean (Gens). Ce n’est pas parce que plus de 90% des agresseurs sont des hommes que toutes leurs victimes sont féminines.»

De Jutra, Sarah Bureau dit qu’on peut reconnaître son talent, son côté lumineux. «Mais selon les témoignages de dénonciation bien appuyés qu’on entend depuis quelques jours, il semble qu’il avait aussi un côté sombre. Il n’était peut-être pas pédophile 24 heures sur 24, mais les gestes qu’il a posés restent inacceptables. Aujourd’hui on est juste à l’époque d’en parler.»

La jeune femme de 45 ans dit qu’on parle beaucoup de sexe. «Mais pas beaucoup de sexualité. Ou on en parle mal. On vit comme une perte de sensibilité à l’intégrité de la personne», dit-elle.

Elle fait allusion, entre autres, à cette triste histoire que raconte, également dans le premier épisode de Justice, la mère de Clara, dont l’amoureux a diffusé sur le Net des images d’elle nue.

Il y a une autre raison pour laquelle Sarah Bureau a accepté de participer à la minisérie Justice. «C’est une sorte de legs, le livre que je n’écrirai jamais», parce que je n’en ai pas l’énergie, la force de concentration.»

Sarah Bureau n’a plus d’emploi, parvient à maintenir son équilibre mental grâce à un cocktail de médicaments, vivant avec un stress traumatique sévère chronique.

Quelques statistiques

5526

Il s’agirait du nombre d’infractions sexuelles répertoriées au Québec en un an.

95%

Le pourcentage des cas d’agressions sexuelles qui ne sont pas déclarés à la police.

 

Données tirées du document «Infractions sexuelles au Québec» du ministère de la Sécurité publique publié en 2013.