Auberges du cœur : plus d’argent, SVP!
Il en existe une trentaine de ces Auberges du cœur au Québec, des organismes d’hébergement jeunesse communautaire comme la Maison Raymond-Roy de Victoriaville. Récemment, elles ont plaidé pour un meilleur financement. « On manque de tout, sauf de cœur », ont-elles choisi comme slogan de leur campagne pour sensibiliser les élus et la population aux enjeux auxquels elles font face.
Malgré un certain rattrapage dans le budget provincial de mars 2022, on demeure très loin du compte, estime le Regroupement des Auberges du cœur du Québec (RACQ).
Actuellement, les Auberges touchent un financement quotidien moyen de 124 $ par lit. Or, observe le Regroupement, le rapport du Vérificateur général du Québec estimait, en 2009-2010, à 291 $ par jour le coût moyen d’une place dans un centre de réadaptation.
Le RACQ réclame un rehaussement du financement de base, récurrent et indexé, de 22 M $ afin que ses membres puissent réaliser pleinement leur mission en accompagnant les jeunes fréquentant les ressources d’hébergement.
Maison Raymond-Roy
À Victoriaville, l’Auberge du cœur Maison Raymond-Roy, ouverte 24 heures par jour, 365 jours par année, accueille et héberge dans ses neuf chambres des jeunes adultes de 18 à 29 ans aux prises avec toutes sortes de difficultés.
Cette ressource d’hébergement vit elle aussi différents enjeux, notamment le manque de personnel. « Comme ailleurs dans le mouvement communautaire, mais dans les ressources d’hébergement jeunesse en particulier, on n’est pas subventionné autant que d’autres types de ressources d’hébergement. Même en améliorant nos conditions, on a de la misère à trouver des employés », indique la directrice Cindy Kirouac.
Pour rivaliser avec les autres organisations dans le recrutement et la rétention de main-d’œuvre, des conditions de travail convenables sont nécessaires, plaide Cindy Kirouac qui, en ce sens, salue l’engagement des administrateurs. « On a vraiment un excellent conseil d’administration, il faut le souligner. À la Maison Raymond-Roy, on a obtenu un financement récurrent de plus de 142 600 $ annuellement. Et notre CA a choisi de l’investir à 100% dans les ressources humaines », souligne-t-elle.
Avec cet argent, la Maison Raymond-Roy a pu augmenter son échelle salariale, ajouter deux congés annuels, accorder une sixième semaine de vacances pour les employés cumulant 15 ans et plus de services continus. Sans compter l’augmentation de la part de l’employeur dans le régime de retraite des employés.
« On a fait un bond en avant, mais il y en a encore plusieurs à faire. Sans minimiser ce qui a été fait, nous en sommes vraiment reconnaissants, mais ça ne nous permet pas d’être optimal encore, de remplir notre mission l’esprit tranquille », fait valoir Cindy Kirouac.
De l’argent neuf, il en faut encore plus, observe-t-elle, pour bonifier l’échelle salariale. « Si on veut que la ressource fonctionne, on n’a pas le choix. Ça prend du personnel sur place en tout temps, 24 h par jour. Nos conditions salariales doivent être encore plus compétitives, expose-t-elle. On se situe encore en deçà de ce qu’on retrouve ailleurs notamment au CIUSSS et dans le réseau. Même eux, ils cherchent du personnel. On peut s’imaginer que nous, en offrant moins, on en cherche vraiment aussi beaucoup. Pour les remplacements la nuit, on ne reçoit pas de CV, on doit faire affaire avec une firme privée et les coûts sont quand même assez élevés. »
Un financement adéquat pourrait aussi permettre à la ressource de mettre en place des services de façon à répondre aux différents besoins des jeunes, que ce soit, par exemple, des soins psychologiques, les services d’un sexologue ou autres.
L’entretien du bâtiment nécessite aussi des coûts. « C’est quand même une maison que nous avons à entretenir. On met de l’argent de côté pour l’entretien général. On tient beaucoup à ce que notre maison soit un lieu accueillant, sécuritaire et que tout ait l’air en bon état. Les jeunes le méritent. Ils ont le droit d’avoir un bel endroit pour vivre comme tout le monde », soutient la directrice, rappelant qu’on n’hésite aucunement à impliquer les résidents. « On fonctionne beaucoup par l’empowerment, note-t-elle. Si on a des choses à faire, on essaie d’impliquer les jeunes. On essaie de développer leurs compétences pour que, lorsqu’ils arrivent en appartement, ils soient mieux outillés et en mesure de se débrouiller, de faire le plus de choses possibles. »
Une réalité plus complexe
La clientèle de la Maison Raymond Roy peut venir d’un peu partout. Le jeune adulte, avant son admission, subit une évaluation et sait à quoi s’attendre avant d’entreprendre son séjour. La vie de groupe exige le respect de certaines règles.
« La personne fait sa demande d’aide en pleine connaissance de cause en sachant ce que ça implique afin que ça ne soit pas vécu comme une déception. Le but étant de lui faire vivre des réussites, aussi petites soient-elles, et non pas lui faire vivre des échecs », explique Cindy Kirouac.
La directrice de la Maison Raymond Roy constate que la réalité s’est complexifiée au fil des ans. « On accueille des jeunes adultes avec toutes sortes de difficultés. Il n’y a pas un profil en particulier. Mais les profils sont de plus en plus complexes. On voit, depuis plusieurs années, de plus en plus de problèmes de santé mentale souvent liés avec un problème de toxicomanie. Cela rend les interventions plus complexes, fait-elle remarquer. Comme nous ne sommes pas des experts dans ces domaines, mais bien des spécialistes de l’hébergement, on tisse des liens avec les organismes du milieu pour leur référer les jeunes et qu’eux apprennent à les connaître. On veut qu’après leur séjour ici, ils soient capables d’aller chercher l’aide dont ils ont besoin. »
La déficience intellectuelle se fait aussi plus présente. « On en a des personnes qui sont suivies par le CRDI (Centre de réadaptation en déficience intellectuelle), précise Cindy Kirouac. L’important, c’est que la personne soit capable de fonctionner selon notre code de vie et de bien s’intégrer dans le groupe qui demeure la priorité, avec une bonne ambiance dans la maison pour que tous se sentent bien et en sécurité. »
Cette réalité plus complexe, fait valoir la directrice, demandera de plus en plus de ressources avec un financement accru pour répondre aux besoins des jeunes. « On est loin d’une dynamique où on va avoir moins besoin d’argent. Les besoins vont aller en augmentant, mais le financement n’augmente jamais au même niveau, déplore-t-elle. Il faudra pourtant que suive le financement pour qu’on puisse continuer d’offrir le meilleur à ces jeunes qui sont l’avenir, car sitôt qu’un jeune fonctionne mieux, qu’il retourne à l’école ou au travail, il devient un citoyen actif et c’est profitable à tout le monde. Le travail qu’on fait contribue à rendre la société meilleure où les gens contribuent et sont reconnus à leur juste valeur. »
La durée moyenne de séjour à la Maison Raymond Roy, qui a toujours oscillé entre deux et trois mois, a tendance à augmenter. « L’an passé et cette année, on enregistre de hauts taux d’occupation et de longs séjours aussi. Une situation attribuable à la pénurie de logements qui fait que des séjours de six mois, on en a de plus en plus », mentionne la directrice. D’où la nécessité, selon elle, de logements sociaux, abordables.
Suivi et accompagnement
À son départ de la Maison Raymond Roy, le jeune adulte, sur une base volontaire, peut profiter d’un suivi.
C’est le travail que fait Kim Perreault, intervenante post-hébergement depuis quatre ans. « Quand l’un termine son séjour, je peux l’accompagner, l’aider pour la recherche d’un appartement, aller en visiter avec la personne, l’informer, des ressources existantes et assurer un suivi », fait-elle savoir.
Le suivi dure le temps qu’il faut pour que la transition se fasse bien. « Ce suivi peut prendre plusieurs formes, énonce Kim Perreault. Je peux aller les voir chez eux, on peut aller marcher, se rejoindre pour aller prendre un café.
C’est de voir comment ça se passe. C’est convivial, ça se passe beaucoup dans l’informel. »
Travailler avec les jeunes motive beaucoup Kim Perreault. « C’est intéressant d’apprendre à connaître l’être humain dans les simples banalités, dans le milieu de vie. Je trouve ça tellement enrichissant, confie-t-elle. C’est comme si on vivait avec eux, quand ils font de longs séjours, on crée de forts liens. »
Pour Cindy Kirouac, le potentiel des jeunes l’anime beaucoup. « Je trouve ça super stimulant de voir que chaque être humain est différent. On l’accueille comme il est, avec tout son passé. De faire un petit bout de chemin avec lui, c’est ce qui m’anime, de pouvoir être là pour eux, de faire le plus de petits pas possibles, de semer des petites graines et de voir qu’un moment donné, ces petites graines vont mener à quelque chose. Le travail n’est pas inutile », conclut-elle.