Sortir de la pauvreté : un travail à temps plein
«C’est difficile d’entrer sur l’aide sociale et c’est difficile d’en sortir», m’avouait Pierre**, la semaine dernière. Pierre reçoit de l’aide de dernier recours de l’État. Il est vrai que pour plusieurs personnes, cette aide est heureusement de courte durée. C’est en quelque sorte un complément à une assurance emploi qui ne suffit plus à sa tâche après des années de resserrement des conditions pour s’y qualifier et de la durée des prestations. Une situation conjoncturelle qui persistera souvent moins d’un an. Ouf!
Pour d’autres, le passage s’éternise. L’aide arrive «trop peu trop tard». Leur trajectoire de vie fait en sorte que ce dernier recours ne permet pas à se sortir la tête hors de l’eau pour percevoir un bout d’horizon ou la terre ferme. Nulle part pour poser les yeux et s’y projeter. La pauvreté gangrène. Bouffe de l’intérieur. Lutter contre elle, c’est un travail à plein temps. Plusieurs vous le confesseront, s’ils s’y laissent aller. Quand l’aide de l’État ne suffit pas à subvenir à ses besoins de base et, le cas échéant, à ceux de ses enfants, il faut redoubler d’imagination pour trouver des expédients. Piler sur son orgueil, faire acte d’humilité et cogner aux portes d’organismes communautaires ou à celles d’amis ou de parents (si les uns et les autres n’ont pas fui!). Car il faut se loger, il faut se nourrir, il faut se vêtir. Et tout ça, avant même de commencer à se chercher un emploi.
La pauvreté gangrène, la pauvreté épuise. Et tranquillement se forme une spirale descendante, dont le remous rend prisonnier.
«Pis quand t’es rentré sur l’aide sociale, ajoute Pierre, t’es étiqueté “BS” ou “aide sociale”. Tout est foutu!» Le jugement lapidaire des préjugés frappe, use, affaiblit. Profiteur, paresseux, voleur. Bougon. Ces termes vous disent quelque chose? Pour celui ou celle qui recourt à l’aide sociale, au soutien de la collectivité, c’est autant de crocs-en-jambe pour leur réintégration sociale. Parce que dans une société où l’identité de ses membres passe par l’emploi qu’ils ou qu’elles occupent, les personnes qui se résignent à demander de l’aide sociale se placent immédiatement en situation de hors-jeu et sont poussées en touche. Pestiférées.
Pierre n’en a rien dit. Mais ç’aurait pu être moi qui sois à sa place. On ne choisit pas la pauvreté. Personne. Qui en voudrait? C’est une maladie de société que l’on attrape. Certaines personnes la combattent mieux que d’autres. Certaines profitent d’un meilleur système immunitaire en raison de leur milieu familial, leur éducation ou leur santé. Mais personne n’est réellement à l’abri.
On aime à nous faire croire que chacun chacune est l’artisan de son propre malheur. C’est faux! La pauvreté a des racines collectives. Et profondes. C’est une maladie de société. Et doit être traitée comme telle. Ce n’est pas en appeler à la déresponsabilisation que d’affirmer cela.
La solution de base consiste à assurer, sans condition, une couverture des besoins essentiels de tous et toutes. On évitera ainsi qu’ils ou qu’elles ne s’engluent dans les sables mouvants de l’indigence, de la lutte quotidienne pour leur survie et, le cas échéant, de celle de leurs enfants.
** Nom fictif
François Melançon
Association des groupes d’éducation populaire autonome (AGÉPA) Centre-du-Québec