Des notions d’éducation à la sexualité seront introduites dès la garderie
Ce ne sont pas que les écoles primaires et secondaires de la province qui offriront à l’automne des cours d’éducation sexuelle, certaines garderies et maternelles accueilleront un programme similaire spécialement adapté aux tout-petits.
Quelque 1200 enfants âgés de 0 à 5 ans seront ainsi exposés à certaines notions touchant à la sexualité et aux relations égalitaires dans le cadre d’un projet-pilote déployé par la Fondation Marie-Vincent.
Si cette première phase d’implantation est couronnée de succès, le projet Lanterne/Awacic pourrait par la suite être étendu à davantage de garderies, maternelles et centres communautaires.
Plusieurs ministères sont partenaires du projet, qui a été spécialement conçu pour s’arrimer aux nouveaux cours d’éducation sexuelle qui seront offerts dans les écoles québécoises dès la prochaine rentrée scolaire.
Dans le cadre de ce projet-pilote, environ 300 intervenants gravitant autour des enfants seront formés par des professionnels de la Fondation Marie-Vincent, un centre spécialisé dans la prévention de la violence sexuelle touchant les enfants et les adolescents.
Des éducatrices en garderie, des intervenants en milieu communautaire, des gestionnaires de services de garde et des enseignants de maternelle 4 et 5 ans seront ainsi outillés pour répondre aux questions des tout-petits et aborder certains thèmes touchant à l’éducation sexuelle.
«Le pari que l’on fait, c’est de se dire qu’en offrant une éducation sexuelle saine et en éduquant les enfants aux relations égalitaires dès le plus jeune âge, on prévient la violence sexuelle», explique Annie Fournier, directrice des services professionnels à la Fondation Marie-Vincent.
L’idée est également de décomplexer les enfants face aux sujets touchant à la sexualité pour éviter qu’ils ne deviennent tabous.
«Si on commence à aborder tranquillement ces thèmes-là dès la garderie et par la suite, quand les enfants arrivent à l’école, on continue d’en parler, ça va devenir des discussions plus faciles et plus ouvertes», croit Annie Fournier.
Le projet a d’ailleurs été coiffé du titre «Lanterne» pour imager la lumière qui sera faite sur l’éducation à la sexualité et aux relations égalitaires. Quant à «Awacic», il s’agit d’un terme attikamek qui signifie «petit être de lumière», un mot couramment utilisé pour désigner un enfant.
Des outils adaptables
Les outils développés ont été pensés pour pouvoir s’arrimer aux différentes réalités de la province. Ils seront d’ailleurs publiés en quatre langues: français, anglais, attikamek et innu.
«Ce qui est intéressant avec ce programme, c’est qu’il se fait dans des milieux qui sont très différents pour essayer d’avoir des outils de prévention les plus adaptés et les plus adaptables possible aux différents contextes», souligne Annie Fournier.
Une chargée de projet, elle-même Attikamek, veille à adapter le projet aux besoins identifiés sur les réserves de Manawan dans Lanaudière et de Wemotaci en Mauricie, ce qui facilitera par la suite l’élargissement du programme à d’autres communautés autochtones.
Une autre chargée de projet s’occupe d’adapter les outils aux quartiers multiculturels de Côte-des-Neiges et Parc-Extension à Montréal. Et une troisième intervenante harmonise le projet aux réalités du quartier Sacré-Coeur à Longueuil, un milieu défavorisé, ainsi qu’à la municipalité de Saint-Rémi en Montérégie, un secteur rural plus homogène.
Le déploiement du projet-pilote sur ces trois sites initiaux est financé par l’organisme à but non lucratif Avenir d’enfants, né d’un partenariat entre le gouvernement du Québec et la Fondation Lucie et André Chagnon.
Déjà, deux autres sites d’implantation se sont ajoutés. Le Secrétariat à la condition féminine finance un volet de l’initiative pour la rendre accessible aux enfants de la nation innue de Natashquan sur la Côte-Nord. Et la Ville de Montréal soutient l’accès au programme pour les jeunes du quartier Saint-Pierre à Lachine.
Ce n’est jamais un jeu
Annie Fournier s’attend évidemment à ce que certains parents soient réticents face au programme. «Ça fait peur à certaines personnes parce qu’elles ont l’impression qu’on va parler de sexe, mentionne-t-elle. Mais le programme n’a pas du tout cette prétention-là, on va plutôt parler des notions de frontière, des émotions, des relations égalitaires.»
Ce projet répond d’ailleurs à une demande formulée par des éducatrices lors de consultations menées il y a deux ans par la Fondation Marie-Vincent. «Dans le développement psychosexuel, il y a un pic de comportements sexuels entre 3 à 5 ans et un deuxième à l’adolescence. Les éducatrices nous rapportaient se sentir un peu démunies et ne pas savoir quoi dire et jusqu’où aller», rapporte Mme Fournier.
Pour les accompagner, plusieurs outils ont donc été développés. Ceux-ci seront malléables, en ce sens qu’ils permettront aux éducatrices d’approfondir le sujet selon leur degré de confort.
Un jeu de prévention sur la violence sexuelle a notamment été créé pour apprendre aux enfants à déceler les situations inacceptables.
«Le message principal qui y est véhiculé, c’est que tout ce qui implique les parties sexuelles, ce n’est pas un jeu et donc ça ne devrait pas se retrouver dans un jeu», souligne Annie Fournier, spécifiant que de nombreux agresseurs font croire aux enfants qu’ils ne font rien de mal puisqu’il ne s’agit «que d’un jeu».
Deux livres ont été rédigés pour les enfants âgés de 3 à 5 ans, l’un portant sur les frontières interpersonnelles (la «bulle») et les limites que l’on peut poser et l’autre traitant des relations égalitaires entre les garçons et les filles.
Un livre a également été conçu pour les enfants âgés de 0 à 24 mois. «C’est un imagier qui démontre que peu importe si on est un garçon ou une fille, on peut rire, pleurer, avoir peur et jouer aux jeux que l’on veut», détaille Mme Fournier.
Les notions seront donc introduites de manière informelle, par le biais de causeries ou encore lors de périodes de jeux.
Un projet écosystémique
Pour Annie Fournier, l’aspect le plus innovant de ce programme est son caractère «écosystémique».
«Pendant des années, on a fait de la prévention des abus sexuels en parlant directement aux enfants, mais c’était une erreur, fait-elle valoir. On a découvert que les meilleures approches, c’est vraiment de travailler tout le système autour de l’enfant, donc les intervenantes, les parents et la société en général.»
Ainsi, si un enfant dénonce une situation abusive, l’adulte qui reçoit sa confidence sera en mesure de l’accueillir et d’agir adéquatement.
«On est vraiment fier de ce programme, on y croit vraiment, relève Annie Fournier. Notre objectif à terme, c’est vraiment de pouvoir déployer le programme à travers la province pour créer une société qui protège vraiment ses petits.»