Silence, on viole

Une ancienne vedette de la chanson et comédien a été reconnue coupable d’exploitation sexuelle sur une mineure alors qu’il était en position d’autorité.

Les faits se sont produits en 1996, alors qu’il avait 28 ans et la victime 17 ans. Les accusations remontent à 2014 et la sentence a été prononcée le 24 mai dernier. Il a écopé de trois mois de prison chez lui, suivi de trois mois à purger dans la collectivité, mais avec couvre-feu, de même qu’une année de probation et une inscription d’une durée de 20 ans au registre des délinquants sexuels.

La victime le connaissait depuis l’enfance et avait développé une relation de confiance avec lui et surtout avec sa conjointe. À l’adolescence, elle est devenue la gardienne de leurs enfants. Elle admirait l’artiste. Sa notoriété l’impressionnait, mais n’était pas attirée par lui.

Un soir, alors qu’elle devait garder les enfants, elle se retrouve seule avec lui, car il a envoyé les enfants chez des amis pour la nuit. Il lui propose alors de rester et jouer à improviser. Il pourra ainsi vérifier l’étendue de son talent et lui présenter ses connaissances du milieu, car elle étudie en théâtre. La jeune fille, ravie, accepte.

Il prétexte qu’elle doit dépasser sa pudeur, puisqu’elle aura éventuellement à jouer des scènes sexuellement explicites. Il lui demande de parler de sa première relation sexuelle. Elle joue le jeu et improvise. Puis, il l’agrippe fermement et devient entreprenant, malgré qu’elle lui dise non à plusieurs reprises. Elle se débat. Il l’immobilise et la viole. La jeune fille, pour qui c’était une première expérience douloureuse, se sent déstabilisée et confuse.

Les gestes se répètent pendant des mois, puis des années après sa majorité. Elle ne sait plus où elle en est et souffre de divers problèmes liés à l’anxiété, la peur, la détresse et la culpabilité. Afin de mettre fin à cette histoire et de reprendre du pouvoir sur sa vie, elle porte plainte à la police. Une enquête préliminaire a lieu en 2016. La poursuite abandonne l’accusation d’agression sexuelle, car la condamnation devient difficile en raison des relations consentantes qui ont suivi.

Il plaide non coupable, puis, après trois ans et demi, s’avoue coupable d’exploitation sexuelle, car la preuve des gestes commis alors que la victime était mineure, et lui en situation d’autorité, est solide. L’entente entre les avocats, qui tient compte autant de la crédibilité de la preuve que des risques d’acquittement, est acceptée par le juge, même si elle semble particulièrement clémente étant donné que l’exploitation des mineurs est criminelle et passible de jusqu’à 10 ans de pénitencier.

Si l’abuseur a déploré que sa notoriété ait fait en sorte que son crime soit médiatisé, cette même notoriété lui permet d’avoir un auditoire pour plaider sa cause en tant que victime. Aussitôt la sentence prononcée, il met en ligne une vidéo particulièrement racoleuse, où il dit souhaiter que cette triste histoire contribue à améliorer les rapports hommes-femmes et à faire en sorte que la société s’améliore. Il laisse ensuite entendre que, s’il y a eu crime, il en est la victime. La victime, il ne la désigne pas en ces termes, mais comme la personne qui a porté plainte. Puis, il accuse les médias d’avoir manqué de rigueur en ne mentionnant pas que l’accusation de viol avait été abandonnée et précise qu’il ne faut pas confondre exploitation sexuelle avec proxénétisme, car il ne l’a ni enchainée, ni battue.

On peut se demander ce qui explique le silence des victimes, parfois durant des années. Connaissez-vous un autre crime où on met autant d’énergie à transférer le blâme de l’auteur du délit à la victime?  Est-ce qu’on reproche aux banques leur décor invitant et aux magasins leurs étalages attirants comme incitatifs aux vols? Pourtant quand il s’agit de viol, toutes les circonstances atténuantes y passent : à 15-16-17 ans, elle était assez vieille pour savoir ce qu’elle faisait; elle n’était pas vierge; elle a été éduquée dans un milieu libertin; elle était habillée comme une pute; que faisait-elle à cette heure dans un tel endroit? Si elle ne voulait pas, pourquoi l’avoir accompagné à sa chambre d’hôtel? Comment s’étonner que, quand on fait davantage le procès de la victime que de l’accusé, moins de 5% des victimes d’agressions sexuelles portent plainte ou attendent un long laps de temps pour être plus solides avant de le faire?

On peut également se demander pourquoi la victime ne met pas fin aux agressions alors qu’elle le pourrait. Plusieurs pistes peuvent nous donner des explications. Tout d’abord, elle se perçoit difficilement comme une victime puisqu’elle avait de l’estime pour l’abuseur qui n’avait rien de l’inconnu monstrueux qui saute sur ses victimes dans une ruelle. Fréquemment, lors de la première agression, elle paralyse puis, quand ça se répète, elle ne réagit pas, car elle sait qu’on lui demandera pourquoi elle ne l’a pas dénoncé la première fois. Souvent, elle est manipulée par l’abuseur qui a détruit sa confiance en soi et nourrit sa honte en la persuadant qu’elle l’avait provoqué, qu’elle ne méritait pas mieux. Comme elle se sent coupable, elle est persuadée qu’elle se retrouvera blâmée et sans soutien.

Dans ce cas précis, on apprend que la victime a aussi porté plainte en France où elle s’était établie et où il a continué à abuser d’elle. Est-ce que la justice française sera aussi laxiste que la nôtre?

Quand on comprendra que le consentement est une marque de respect essentielle à des relations harmonieuses et égalitaires, le silence ne sera plus le complice de l’abuseur.

Texte rédigé par Monique T. Giroux pour ESPACE Bois-Francs