Hausse du salaire minimum : entre justice sociale et incertitude économique

Le salaire minimum sera augmenté au Québec de 0,70 $ l’heure le 1er mai prochain. Un bond très tonique. Les travailleuses et les travailleurs québécois n’avaient jamais connu une telle hausse. Il y a de quoi se réjouir. Chaque mesure qui favorise une meilleure justice sociale doit être saluée favorablement. Chaque pas qui rapproche du seuil de la pauvreté pour permettre de le franchir et sortir de l’état d’insécurité financière est un grand pas, une foulée dont profite l’ensemble de la population. Sortir de l’insécurité financière, c’est souvent aussi gagner en dignité humaine et en qualité de vie, cette qualité de vie qui favorise une meilleure santé globale, une meilleure alimentation, un peu de temps pour le loisir et davantage pour la famille, voire pour les études, d’une meilleure contribution à l’économie locale.

La hausse annoncée portera le salaire minimum, au Québec, à 12 $ l’heure. Personne n’est naïf. La décision d’augmenter davantage que prévu le salaire minimum porte le parfum de la campagne électorale. Tandis que dans l’ombre, la main droite continue d’exercer des pressions « austéritaires » sur les finances publiques, la main gauche recherche le feu des projecteurs. Elle saupoudre ici et là, de façon clairement ciblée, le butin accumulé à coup d’économies de bouts de chandelle. Le temps de la manne électorale est venu.

On aurait tort cependant de ne pas voir dans cette décision, audacieuse aux yeux de certains et certaines, la réponse à une vague de fonds au sein de la société civile pour une hausse significative du salaire minimum partout en Amérique du Nord. Depuis leurs lancements à l’automne 2016, les différentes campagnes qui revendiquent l’adoption d’un salaire minimum à 15 $ l’heure, dont la campagne 5-10-15 portée par une coalition d’organismes communautaires et syndicaux, ont réussi à imposer leur point dans l’opinion publique. Le pouvoir citoyen reste un acteur important de la joute politique, laquelle ne se limite pas à déposer un bulletin de vote dans une urne tous les quatre ans. Elle se joue tous les jours. Et il appartient aux citoyennes et aux citoyens d’y participer et de s’y faire entendre.
Augmenter la foulée, une question de dignité.

Douze dollars l’heure c’est bien, mais quinze, c’est mieux. Il est vrai que le « quinze dollars l’heure » a rapidement acquis une valeur de symbole. Il est vrai aussi que les réalités socioéconomiques des grandes villes des États-Unis, qui ont donné naissance au mouvement de revendication de ce rehaussement du taux horaire minimal, se comparent difficilement à celles des villes et régions du Québec. À certains égards, les conditions de vie et de travail des Québécoises et Québécois paraissent enviables. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles ne doivent pas être améliorées. Le phénomène croissant des travailleurs et travailleuses pauvres
Association des groupes d’éducation populaire autonome, Centre-du-Québec porte à réfléchir.

Il commande des actions rapides pour corriger une situation indécente. Les données publiées par les organismes de sécurité alimentaire sont éloquentes. De plus en plus de personnes qui ont un emploi doivent recourir à leurs services afin de boucler leur fin de mois. Une situation anecdotique il y a cinq ans encore. Et que dire des petits déjeuners (ou autres aides alimentaires) servis aux jeunes écoliers et écolières, souvent en toute discrétion pour éviter la stigmatisation (et l’exclusion sociale)? La pratique est désormais suffisamment ancrée pour que le gouvernement lui apporte lui-même son soutien financier. Malaise. Pourquoi financer les diachylons alors qu’on pourrait simplement éviter la blessure? Si chaque travailleur et chaque travailleuse bénéficiait d’un salaire décent qui lui permet d’assurer les besoins matériels et alimentaires de base de leur famille, les clubs des petits déjeuners et autres mesures de sécurité alimentaire perdraient de leur pertinence.

Intervenir en amont. Développer une approche préventive. C’est-ce que représente une augmentation significative du salaire minimum. L’Alberta et l’Ontario semblent l’avoir compris. Les études de l’IRIS le démontrent. Pour que l’ensemble des Québécoises et des Québécois bénéficient d’un salaire décent, le gouvernement doit fixer le taux horaire minimum à quinze dollars. De façon progressive, certes. Mais dans un délai très rapproché.

De Cendrillon au Bonhomme Sept Heures : un débat émotif
La hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure laisse peu de gens indifférents. L’idée déchaîne les passions. Les travailleuses et travailleurs en rêvent, mais ne la revendiquent pas toujours ouvertement de crainte de représailles de la part de l’entreprise qui les emploie. Les organismes engagés dans la lutte contre la pauvreté et la défense collective des droits, de concert avec les syndicats, portent cette cause à bout de bras et plaident haut et fort devant le tribunal de l’opinion publique. Le monde des affaires, de son côté, se défend bec et ongles. En appelle au catastrophisme. Il sort les images fortes, celles qui font peur, qui insécurisent. À l’espoir d’une vie décente pour les personnes qu’il emploie, il oppose la menace de faillites et de pertes d’emploi catastrophiques, dont tout le Québec sortirait diminué, affaibli.

Soyons honnêtes. L’établissement d’un salaire minimum à 15 $ l’heure ne se fera pas sans heurts. Il commande des réajustements plus ou moins lourds selon la taille de l’entreprise et sa nature (PME, ferme, franchise, organisme communautaire, multinationale, entreprise d’économie sociale, etc.). L’impact variera. Rien d’uniforme. Rien de catastrophique non plus.

Il sera en partie absorbé par les entreprises qui devront abaisser leur marge de profit et, dans certains cas, augmenter leurs sources de revenus par un léger rehaussement des prix de ses biens et services. Les travailleurs et travailleuses ne seront pas en reste. Certains et certaines verront leur temps de travail diminué et dans certains cas « simplement » mis à la porte. Ce sont là des drames individuels qu’on ne peut pas rejeter d’un simple revers de la main. Des drames humains. Ils existeront. Et il faut compatir. Cependant, le gain collectif en vaut la chandelle.

L’engagement social de l’État devrait faciliter l’adoption de cette nouvelle norme de travail. La réussite de la transition revient en effet au gouvernement. Dans sa façon de mettre littéralement en marché cette mesure salariale et d’assumer pleinement la mission sociale de l’État. Dans sa façon d’accompagner les entreprises les plus vulnérables et de soutenir les victimes de mises à pied.

Collectivement, c’est tout le Québec qui gagnera de l’adoption d’un salaire minimum à 15 $ l’heure. Les plus bas salariés et salariées pourront décemment subvenir à leur besoin de base et avoir de quoi faire face aux aléas de la vie (bris et désuétude des appareils électroménagers, du véhicule automobile ou de la maison, etc.). Les inégalités socioéconomiques seront réduites (même si cette réduction restera presque imperceptible tant qu’une poignée de personnes toucheront des revenus astronomiques). L’économie locale bénéficiera directement des retombées de cette mesure parce que les gains supplémentaires des ménages à bas revenu sont réputés être dépensés dans les commerces locaux plutôt que placés en épargne ou dépensés à l’étranger. Sans compter qu’offrir de bons salaires est un formidable outil d’attraction et de rétention pour les entreprises. Notamment hors des grands centres urbains.

Bref, augmenter le salaire minimum au Québec à 15 $ l’heure ne relève pas de l’utopie. C’est une mesure dont tout le monde sortira gagnant dans la mesure où le débat social qui doit l’accompagner se fait sereinement. En toute transparence. Sans esclandre verbal. Tous les partis doivent négocier l’adoption de cette mesure de bonne foi, dans l’intérêt supérieur d’un vivre ensemble juste et équitable.

François Melançon
Coordonnateur de l’Association des groupes d’éducation populaire autonome (AGÉPA) Centre-du-Québec