«Les gens qui cuisinent sont en meilleure santé»
ALIMENTATION. Jean-Claude Moubarac, chercheur en nutrition publique à l’Université de Montréal, est on ne peut plus clair. «Le gouvernement, dit-il, a le devoir et l’obligation morale de développer des politiques publiques pour protéger la santé et l’avenir du peuple québécois.»
Cela, soutient l’anthropologue, parce que l’obésité et les maladies qui y sont associées ne représentent pas que l’affaire d’individus, mais la résultante d’un système alimentaire favorisant de plus en plus la consommation de produits ultra-transformés.
Les statistiques qu’il a présentées montrent que la consommation des produits fabriqués en laboratoire commence à prendre le dessus sur les aliments frais ou minimalement transformés.
Les Canadiens seraient les deuxièmes plus grands consommateurs au monde de ces aliments si pratiques et attrayants que sont les biscuits, pizzas, boissons gazeuses, poulet pané, yaourts aromatisés, etc.
«Ces aliments sont comme une drogue. Ils sont savoureux, accessibles et incitent à la surconsommation. Après une bouchée, on ne peut plus s’en passer.»
La moitié de l’assiette des Québécois se composerait aujourd’hui de calories provenant d’ultra-transformés. On s’alimente, mais on ne se nourrit pas, constate M. Moubarac.
La cuisine délaissée
Malgré la popularité des livres et des émissions culinaires, on cuisine de moins en moins. «Ce qui démontre que l’alimentation fait partie de la fibre humaine, mais c’est en spectateur qu’on jette un œil à ceux qui cuisinent.»
M. Moubarac était invité, mardi soir, par les Cuisines collectives des Bois-Francs à traiter des incidences de la transformation alimentaire sur la nutrition, la santé, l’environnement et la société.
La conférence de M. Moubarac aurait mérité un plus large auditoire que la trentaine de personnes qu’elle a réunies au Cégep, tellement le sujet touche tout le monde.
Il est vrai, souligne le conférencier, qu’on parle peu de nutrition et qu’on dispose de très peu d’informations sur les liens à établir entre la consommation des produits ultra-transformés et les risques pour la santé humaine. Il s’effectue des recherches, mais plus de 80% sont commanditées par l’industrie même qui fabrique les produits, observe-t-il.
La «recette»
Si Jean-Claude Moubarac préconise une intervention gouvernementale en matière de nutrition, il pencherait plutôt du côté de l’éducation que du côté de la «répression». Taxer les boissons gazeuses, par exemple, aurait pour effet de braquer l’industrie. «Des voix s’élèveraient contre une taxe, alors que personne ne s’opposerait à ce qu’on ramène des cours de cuisine dans les écoles.»
Réapprendre à cuisiner avec des ingrédients frais ou légèrement transformés, prendre le temps de le faire, manger à des heures régulières, éviter les ultra-transformés, se méfier des publicités de ces produits parfois confuses, voire mensongères, sont quelques éléments de la «recette» du chercheur.
Pour redonner sa place à la nutrition, M. Moubarac estime qu’il faudra aussi la mobilisation citoyenne et l’instauration de politiques publiques pour contrer l’offensive du Big Food.
Un guide alimentaire différent
Ayant vécu au Brésil, il a participé à l’élaboration du Guide alimentaire que le ministère brésilien de la Santé a adopté à l’automne 2014. Ce Guide ne comporte aucune consigne concernant les portions et calories à ingérer.
Il s’attache plutôt à classifier les aliments en quatre catégories : les aliments frais et minimalement transformés (fruits, légumes, œufs, noix, viandes, lait, yogourt nature, riz, pâtes sèches ou cuites); les ingrédients culinaires (huile, sucre, beurre, sel); les transformés (fruits et conserves, fromages et pains) et les ultra-transformés dont la liste est interminable.
La «recette» brésilienne
Les aliments frais devraient constituer la base de son alimentation.
Utiliser beurre, huile, sucre et sel avec modération.
Limiter la consommation de produits transformés.
Éviter la consommation de produits ultra-transformés.
Manger régulièrement et avec attention dans des endroits appropriés et en bonne compagnie si possible.
Faire son épicerie dans des endroits où il y a grande variété de produits frais ou peu transformés.
Développer, exercer ses habiletés culinaires. En cela, le concept des Cuisines collectives devrait être valorisé. Elles sont peu valorisées, déplore M. Moubarac.
Planifier son horaire pour redonner à l’alimentation la place qu’elle mérite.
Lors de sorties au resto, choisir des endroits où les plats sont cuisinés sur place.
Développer son sens critique envers les messages diffusés à travers la publicité des aliments.