Éric Turcotte : la prison ferme ou non?

Deux positions opposées ont été soumises, vendredi après-midi, au juge Bruno Langelier de la Cour du Québec. La poursuite réclame une peine de deux ans de pénitencier tandis que la défense considère qu’Éric Turcotte, ce paramédic, pompier et policier militaire, détenu depuis mai dernier, a déjà purgé sa peine. Le magistrat tranchera après les fêtes.

Le Victoriavillois a reconnu sa culpabilité à des accusations de contacts et d’incitation à des contacts sexuels, et de contacts en situation de confiance ou d’autorité.

Son avocat Me Jean-Philippe Anctil a été le premier à s’adresser au juge Langelier, rappelant qu’il devait considérer, non seulement les principes de dénonciation et de dissuasion, mais aussi la réinsertion, le profil de l’individu, de même que l’individualisation de la peine.

«Mon client, a-t-il souligné, a reconnu ses gestes. Il sait que ça ne se fait pas. Il a fait preuve d’un très, très mauvais jugement en débutant une relation avec une enfant. Je ne veux pas excuser ses gestes, mais il en paie le prix. Et comme le démontrent des photos, Madame voulait autant que lui. Ce n’était pas juste à sens unique.»

L’avocat a aussi qualifié de surprenante la lettre écrite et lue par la plaignante disant vivre l’enfer, la peur, l’anxiété. «Ça ne concorde pas avec la preuve, avec leurs échanges. Où débute la crainte? Pourquoi elle exagère tout?», a fait valoir Me Anctil invitant le Tribunal à nuancer les séquelles évoquées.

Évoquant les rapports produits, Me Anctil a fait valoir que Turcotte ne présente pas de déviance sexuelle, que ses gestes sont en lien avec des carences personnelles, qu’il se trouvait dans une situation de fragilité et qu’il manifestait un besoin d’attention. «Ce qu’il a fait ne figure pas dans son échelle de valeurs», a-t-il précisé, ajoutant que son client bénéficiait du support de sa famille, de certains collègues, qu’il n’avait pas d’antécédents judiciaires, qu’il avait reconnu sa culpabilité évitant ainsi la victime à témoigner lors d’un procès. «Il se montre ouvert également à une démarche thérapeutique», a confié Me Anctil.

L’avocat a aussi fait témoigner, jeudi, le père de l’accusé, prêt à accueillir son fils à la maison. «Un homme intègre, honnête et même vigoureux qui n’a pas tenté d’améliorer l’image de son fils, estimant qu’il a besoin d’aide.»

Son client étant détenu depuis le 17 mai (depuis sept mois), Me Anctil estime qu’il a déjà purgé une peine équivalant à 10 mois et demi. «Une peine qui serait appropriée. Je vous suggère donc une longue probation avec un suivi thérapeutique. C’est ce qu’on veut, c’est ce qui protégera la victime», a soutenu le procureur ajoutant qu’un emprisonnement dans la collectivité pourrait aussi convenir.

«Mon client a exprimé des remords sincères et il sait qu’il a été l’artisan de son propre malheur. Il a perdu ses emplois. On doit tenir compte qu’il devra recommencer sa vie. De plus, la grande médiatisation de l’affaire fait partie de sa sanction. Il n’aura jamais plus la même vie qu’avant», a plaidé Me Anctil.

«Une relation née dans l’abus»

D’entrée de jeu, la procureure aux poursuites criminelles et pénales, Me Ann Marie Prince a réclamé une peine de pénitencier de deux ans assortie d’une période de probation de trois ans avec un suivi impératif et un interdit de contact avec la plaignante, une jeune femme aujourd’hui âgée de 25 ans.

«La relation entre les deux est née dans l’abus sexuel sur une enfant de 13 ans, puis elle a transité vers une relation de confiance. Et cela dans un contexte particulier alors qu’il lui enseignait les techniques de RCR (réanimation cardiorespiratoire). Dès le début, la relation a été scellée par le secret» a exposé Me Prince.

La procureure de la poursuite a souligné, certes, que la plaignante vouait une admiration à Éric Turcotte. «Elle ne cache pas qu’elle a été en amour. Mais les tribunaux, a-t-elle affirmé, sanctionnent ces comportements où l’on trouve une grande vulnérabilité des adolescentes. Les tribunaux sanctionnent les adultes qui exploitent la vulnérabilité des ados.»

Les tribunaux doivent aussi, selon elle, considérer la différence d’âge (23 ans entre Éric Turcotte et la plaignante) tout comme la fréquence des gestes qui ont été intrusifs, comme les fellations et les masturbations.

Me Prince a notamment insisté sur le déséquilibre dans la relation. «Il y a eu manipulation et mensonges, les tribunaux en tiennent compte. La plaignante reconnaît avoir été amoureuse et le fait qu’elle retournait vers lui démontre que cette confiance a été exploitée.»

Le statut de l’accusé (paramédic, pompier, policier militaire) crée aussi un déséquilibre, a avancé la représentante du ministère public. «On ne peut avoir un cas plus clair d’un individu qui exploite son statut et la relation de confiance», a dit Me Prince.

Même s’il a reconnu ses gestes, Me Prince est d’avis qu’il se place davantage en victime. «Dans son témoignage, il projette beaucoup la faute sur la victime disant qu’elle lui courait après. Quant à ses regrets, il considère que Madame exagère les conséquences», a-t-elle signalé, invitant le magistrat à la prudence quant à la sincérité des remords de l’individu qui, selon elle, se place davantage en victime. La procureure de la poursuite a soumis deux cas de jurisprudence, dont l’arrêt Pontbriand, cette enseignante condamnée à 20 mois de prison pour avoir eu des relations avec un jeune homme de 15 ans. «En ce qui nous concerne, la victime est plus jeune (13 ans lors des premiers contacts sexuels) et il y a des infractions plus graves», a-t-elle noté, rappelant la fourchette des peines en semblable matière variant entre six mois et deux ans d’emprisonnement.

Quant à la médiatisation, l’affaire d’Éric Turcotte, a souligné Me Prince, n’a rien de comparable avec le dossier Pontbriand qui a notamment fait l’objet de talk-show. «Cet aspect, selon les tribunaux, n’a pas à être considéré comme facteur atténuant», a indiqué Me Prince.

À la suite des représentations, le juge Langelier a fait savoir à Éric Turcotte qu’il lui était impossible de rendre une décision avant les fêtes. «Il s’agit d’une situation particulière. Beaucoup d’éléments doivent être considérés pour déterminer une peine juste. Je ferai tout mon possible pour prononcer la peine le vendredi 13 janvier. Je constate que vous purgez du temps provisoire. J’en tiendrai compte. Désolé, je ne peux faire plus», a exprimé le magistrat.