L’hôpital d’Asbestos et un médecin blanchis en justice

Dans un jugement rendu le 28 septembre, le juge Pierre Bachand de la Cour du Québec, division des petites créances, a rejeté la demande de six membres d’une même famille qui tenaient responsables l’hôpital d’Asbestos et le Dr Simon-Pierre Douville du mauvais état du corps de leur mère de 81 ans décédée d’un cancer en soirée le 25 juin 2014.

Six frères et soeurs réclamaient 15 000 $ (2500 $ chacun) en dommages-intérêts, soutenant que le mauvais état du corps de leur mère les a empêchés de la toucher et de l’embrasser comme c’était leur souhait.

Les faits

Hospitalisée en soins palliatifs, la mère des demandeurs a rendu l’âme à 21 h 15 le 25 juin 2014.

Peu après,  une infirmière a informé le Dr Douville, le seul médecin à l’urgence ce soir-là, du décès de l’octogénaire.

Après avoir été sollicité par 14 à 18 patients durant la nuit, le médecin, qui n’a pas fermé l’œil, a finalement constaté le décès de la dame vers 4 h 45.

À ce moment, lit-on dans le jugement, «le corps est toujours dans la chambre, car il est interdit de le déplacer à la morgue tant que le décès n’est pas constaté.»

Le centre hospitalier a ensuite avisé la maison funéraire à 6 h, mais celle-ci ne viendra chercher la défunte à 8 h 30.

Ainsi, un thanatopracteur, Noël Fréchette, s’est présenté à l’hôpital pour récupérer le corps.

Dans son témoignage, il a relaté avoir constaté la peau très fragile de la défunte. La chaleur, selon lui, occasionne des gaz carboniques, de sorte que la détérioration commence immédiatement. La peau, a-t-il noté, se détache lorsqu’il touche une partie de la figure, des mains et des bras.

L’homme estime que la peau ne se serait probablement pas détachée si le corps avait été réfrigéré. En raison de la fragilité de la peau, il avise la famille de ne pas la toucher.

Le Tribunal observe que le corps est demeuré dans la chambre non climatisée durant sept heures et demie avant le constat de décès. Et la maison funéraire est venue chercher la défunte 11 heures et demie après le décès.

En défense, une thanatologue de 31 ans d’expérience, Suzanne Côté, a témoigné à l’effet qu’un délai de 10 à 12 heures sans réfrigération est régulier, même par période de chaleur.  Selon elle, cela n’a aucune incidence sur la dégradation du corps, mais elle observe que, souvent, des gens malades ont une peau très fragile, surtout s’ils sont amaigris.

Le fait d’apporter le corps plus rapidement à la morgue n’aurait rien changé. Cela, croit-elle, n’a pas d’effet sur le détachement de la peau.

La fragilité de la peau, a-t-on fait remarquer, augmente lors de traitements de radiothérapie pour le cancer, comme c’était le cas ici.

Décision

Le juge Bachand a rendu une décision, écrit-il, «en total respect avec les sentiments des demandeurs», considérant que perdre un parent est très difficile, peu importe l’âge.

Le fardeau de la preuve reposait, précise-t-il, sur les demandeurs qui devaient présenter une preuve prépondérante quant à une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux, ce qu’ils n’ont pas été en mesure de faire, a-t-il tranché.

Le président du Tribunal juge que le médecin n’a commis aucune faute, qu’il a constaté le décès dans un délai de sept heures et demie, bien en deçà du délai maximal de 18 heures prévu par la Loi.

«De plus, d’après les faits mis en preuve, il est démontré que le médecin a agi avec diligence, priorisant les soins à donner aux patients en urgence avant de procéder au constat de décès», souligne le magistrat.

Quant au reproche voulant que la peau se serait fragilisée à cause de la chaleur, le témoignage de la thanatologue Suzanne Côté, note le juge, contredit totalement celui du thanatopracteur Noël Fréchette.

Une autre opinion médicale, mentionne le juge  Bachand, corrobore les propos de Mme Côté.  Celle du Dr Gilles Sainton, médecin coroner en Estrie, qui indique que deux à trois jours sont nécessaires avant une modification de l’aspect de la peau.

De plus, le fait, selon lui, de laisser un corps refroidir à la température ambiante durant quelques heures n’apporte pas de changements significatifs à la conservation du corps. Toutefois, la condition médicale du défunt peut modifier la structure de la peau et, éventuellement, rendre l’embaumement plus difficile.

Le juge Pierre Bachand a donc conclu que le délai d’attente n’a eu aucun impact sur la conservation du corps. Le Tribunal a donc rejeté la requête.