Garderies et CPE : des centaines de jours pour corriger des manquements

Certains services de garde prennent des mois, voire des années, avant de se conformer aux normes et règlements du ministère de la Famille, et ce, malgré les plaintes de parents et les inspections répétées du ministère.

La Garderie éducative Les Canaries (II) Inc. à LaSalle, par exemple, dispose de 80 places, dont 10 pour poupons. Le 10 mai 2010, à la suite d’une plainte d’un parent, un inspecteur du ministère de la Famille mène une inspection. Sur place, le fonctionnaire constate qu’il n’y a pas suffisamment de membres du personnel qualifiés pour le nombre total d’enfants présents.

Le 5 avril 2012, une nouvelle inspection a lieu, encore une fois après la dénonciation d’un parent. Le manque de personnel est de nouveau souligné par l’inspecteur.

Le 14 juillet 2014, l’histoire se répète. Cette fois-ci, l’inspection est menée pour un renouvellement de permis. L’inspecteur remarque que «le titulaire de permis ne s’est pas assuré qu’au moins 2 membres du personnel de garde sur 3 étaient qualifiés et présents chaque jour auprès des enfants.»

Finalement, selon les dossiers du ministère, ce n’est que le 10 novembre 2014 que le problème est réglé, soit plus de quatre ans après que le manquement ait été constaté.

Contacté par téléphone, le propriétaire de la garderie, Christophe Pachittis, indique qu’une pénurie d’éducatrices l’empêchait de répondre aux normes du ministère. «En 2011, si on mettait une annonce sur Emploi Québec, on recevait 20 CV, explique-t-il. Dix-neuf n’avaient rien à voir avec la petite enfance et la seule personne qui avait son diplôme n’avait pas assez d’expérience.»

La main d’œuvre est plus nombreuse aujourd’hui, ce qui lui a permis d’embaucher du personnel et de désormais répondre à toutes les normes.

Le problème ne concerne pas seulement les garderies privées. Des CPE prennent aussi des mois pour corriger certaines infractions. C’est le cas notamment du Centre de la petite enfance Maison Belz, à Outremont, qui a pris plus de deux ans pour que certains employés mettent à jour leur certificat en premiers soins et en secourisme, toujours selon le site web du ministère de la Famille.

Selon l’analyse de TC Média, entre novembre 2009 et juillet 2015, plus de 24 200 (44%) des manquements constatés par les inspecteurs du ministère de la Famille ont été corrigés avec des délais de trois mois ou plus.

Dans près de 4400 cas (8%), il a fallu de six mois à plusieurs années pour la correction des infractions. Les manquements en question pouvaient aller de simples problèmes administratifs, par exemple l’omission de certains documents dans les dossiers parentaux, à des infractions plus graves, comme des trousses de premiers soins incomplètes ou des vérifications qui n’ont pas été faites concernant le passé des employés.

Des inspections remises en question

Selon Mona Lisa Borrega, porte-parole de l’Association des garderies privées du Québec, les informations indiquées sur le site du ministère de la Famille sont à prendre avec des pincettes. «À un moment donné, j’ai eu une inspection en janvier, explique la propriétaire de deux garderies. Il y avait des manquements. En 48 heures, ils étaient corrigés et j’ai envoyé les preuves au ministère. Ça a été mis en ligne en mai. Alors, vous voyez, il peut y avoir des mois de différence. Il faut en prendre et en laisser.»

Du côté de l’Association québécoise des CPE, on déplore le manque de nuance dans les informations publiées par le ministère de la Famille. La gravité de l’infraction tout comme le délai accordé par l’inspecteur pour corriger le problème ne sont pas indiqués. Selon l’Association, il est donc impossible de savoir si le service de garde a dépassé le délai accordé ou non.

Pour sa part, le ministère affirme avoir mis en place en 2014-2015 une nouvelle procédure de traitement des manquements «visant à réduire considérablement les délais avant l’application de sanctions», indique Nadia Caron, porte-parole du ministère.

Depuis le 6 février 2015, si des manquements sont constatés à la suite d’une inspection, un avis de non-conformité est envoyé au titulaire du permis de service de garde, qui a alors 30 jours pour corriger le problème. Si le manquement perdure, des amendes sont données.

Nadia Caron ajoute que si les problèmes perdurent, le ministère peut pénaliser de façon graduelle le service de garde et des sanctions pénales peuvent aussi être envisagées.

De plus, «certaines plaintes urgentes génèrent une inspection dans un délai prioritaire de 24 à 48 heures», ajoute la porte-parole.

Comment avons-nous fait?

Le ministère de la Famille publie sur son site web les rapports d’inspection pour les garderies et les CPE. À l’aide d’un programme informatique codé par nos soins, nous avons extrait, à la fin du mois d’août dernier, l’ensemble des rapports depuis novembre 2009. Ces informations ne concernent que les inspections menées dans les centres de la petite enfance et les garderies. Le ministère ne publie pas les rapports d’inspection des services de garde en milieu familial.

CHIFFRE

80 jours

Délai moyen entre le constat d’un manquement et sa correction dans les CPE et garderies du Québec

Délais entre le constat d’un manquement et sa correction

Entre novembre 2009 et juillet 2015 :

– 365 jours ou plus : 759 manquements (1,4%)

– Entre 182 et 364 jours : 3 658 manquements (6,6%)

– Entre 61 et 181 jours : 20 319 manquements (36,9%)

– Entre 1 et 60 jours : 28 584 manquements (51,9%)

– Correction immédiate : 1127 manquements (2,0%)

– Aucune date de correction : 606 manquements (1,1%)