Corps non réclamés, cendres abandonnées
DOSSIER. Le phénomène de ces dépouilles non réclamées est suffisamment important pour qu’à la Corporation des thanatologues du Québec on se demande si on ne pourrait pas s’inspirer de la Fondation de Gilles Kègle. Par sa Fondation, l’infirmier de rue de Québec va jusqu’à organiser les funérailles de gens morts seuls.
Président de la Corporation depuis septembre dernier, Denis Desrochers, président du complexe funéraire Grégoire et Desrochers de Victoriaville, soutient que le nombre de corps non réclamés tend à s’accroître au fil des ans. «Ici, c’est trois ou quatre par année. On ne voyait pas ça. Des chicanes de famille, des motifs économiques ou encore une extrême solitude sont les principales raisons de l’abandon de ces corps.» Denis Desrochers dit que peu importent les raisons de l’abandon, chaque personne, malgré les éventuels côtés sombres de sa vie, a droit à un dernier hommage.
Cendres abandonnées
Pour les mêmes raisons et parce qu’il s’agit d’un autre sujet de préoccupation bien actuel tant à la Corporation que du côté du gouvernement du Québec, Denis Desrochers parle de ces cendres qu’on oublie… et dont on ne sait plus que faire.
Le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi (64) par lequel, il instaurerait, entre autres, l’obligation de tenir un registre de disposition des cendres d’un défunt. «C’est un vœu pieux dans la mesure où on ne pourrait savoir ce que la famille fait des cendres», commente M. Desrochers.
La Corporation souhaite qu’un «statut» soit donné aux cendres, qu’on en balise le rituel de disposition, afin d’éviter les dérives. Il y a, actuellement, un vide juridique sur cette question. Un vide qui crée des malaises.
Il y a eu l’histoire récente d’une dame qui, à Salaberry-de-Valleyfield, a abandonné l’urne d’un défunt dans une épicerie. On pourrait aussi raconter d’autres histoires d’urnes abandonnées dans un garde-robe ou dans un entrepôt de location. «Même si la dame m’a dit que je pouvais la jeter, j’en ai été incapable. C’étaient, dans l’urne, les cendres de sa fille morte il y a plusieurs années», raconte la propriétaire de l’entrepôt.
Les cendres de la fillette reposent pour 99 ans chez Grégoire et Desrochers.
Actuellement, les proches peuvent disposer des cendres d’un défunt comme ils l’entendent. Ils peuvent garder l’urne sur le manteau du foyer, l’enterrer ou disperser les cendres à tout vent. Un directeur de funérailles ne peut, de son côté, en faire autant, étant tenu de les conserver pendant 99 ans. «Il y a 10% des familles à qui on remet les cendres et dont on ne sait ce qu’elles en feront.»
Au-delà de considérations financières, Denis Desrochers parle des valeurs humaines de respect et de dignité, de responsabilité aussi. Depuis les années 1980, les rites funéraires ont considérablement changé, observe-t-il. «Il y a des guides à se donner comme société, des guides que la religion ne nous donne plus.»
C’est le «Far West» actuellement, selon lui. «Je n’ai rien contre le fait que maman puisse garder l’urne de papa. Mais il lui faudrait prévoir ce qu’elle en fera, parce qu’on risque de trouver l’urne quand on fera le ménage de la maison et que la succession sera fermée.»
Denis Desrochers s’attend à ce que le projet de loi 64 fasse l’objet d’une commission parlementaire en janvier prochain, l’encadrement des pratiques funéraires n’ayant pas été revu depuis 1974.
L’autre «cheval de bataille» de la Corporation concernera la prestation de 2500 $ que verse la Régie des rentes, prestation imposable dont la taille n’a pas changé depuis 1998.