Consulter sans se déplacer

L’idée du projet revient à Eve Lamontagne, une intervenante psychosociale de Victoriaville. Elle lance, en mai 2019, une clinique virtuelle Mon Intervenant, clinique psychosociale (monintervenant.ca), projet auquel se joindra Nadia Paiva de Lévis en 2019. 

« De plus en plus de professionnels travaillent en ligne, mais avant la pandémie, ce n’était pas très populaire. Certains proposaient une formule hybride, mais nous étions dans les premiers à l’offrir exclusivement », souligne Eve Lamontagne.

Le service en ligne procure différents avantages. « Les gens qui finissent de travailler n’ont pas nécessairement envie de ressortir. Ils peuvent aussi demeurer à la maison avec les enfants. D’autres ont des phobies sociales et ne veulent pas sortir ou n’en ont pas la force physique. Ces gens sont avantagés par notre service », confie-t-elle.

C’est par le biais d’une offre d’emploi sur Facebook que les deux femmes ont fait connaissance. « On ne se connaissait pas, indique Eve. Je cherchais à avoir une collègue pour amener plus d’ampleur au projet. »

Auparavant, chacune s’occupait de son côté, mais elles sont toutes deux issues du communautaire. « On éprouvait ce désir de travailler à notre compte, au privé, en individuel, afin de respecter nos couleurs comme intervenantes et de pouvoir vraiment utiliser nos ressources », explique la Victoriavilloise.

Les deux intervenantes possèdent un grand bagage d’expériences, une vingtaine d’années pour Nadia, une quinzaine du côté d’Eve. « On se disait, raconte Nadia, qu’on avait beaucoup d’expérience, qu’on veut aider les gens avec moins de contraintes et de lourdeur bureaucratique. On peut faire ce qu’on veut vraiment, à savoir aider les gens. »

« Dans des organismes, ajoute Eve,il y a toujours une équipe, des gestionnaires, un conseil d’administration. Ainsi, ta façon de travailler va être teintée par la philosophie de l’organisme, ce qui n’est pas nécessairement en cohérence avec nos valeurs. »

Quand les intervenantes parlent de leurs couleurs, elles soulèvent le mot authenticité. « Nous sommes hyper authentiques, une qualité très importante, je crois, comme intervenante, car les gens le sentent, ont un bon instinct et sont capables de lire. Cette authenticité permet de bâtir la relation de confiance avec quelqu’un, ça fait la relation. C’est ce qui fait notre force. » « Cette authenticité, poursuit Eve, est devenue en quelque sorte notre marque de commerce. »

La clientèle

Les services de Mon Intervenant s’adressent à tous, mais sans surprise, indique Eve Lamontagne, la clientèle se compose majoritairement de femmes. « On encourage très fortement les hommes à consulter pour leur santé mentale, tout autant que les femmes. Tout le monde en a besoin », dit-elle.

Le champ d’action des intervenantes se divise en deux volets : une clientèle de 

l’IVAC (Indemnisation des victimes d’actes criminels). « On accompagne ces gens, bénéficiaires de l’IVAC, qui n’ont pas à débourser. Et les besoins sont énormes », constate Nadia Paiva.

La clientèle régulière, si on peut dire, constitue l’autre volet.

Dans leur pratique, les intervenantes psychosociales constatent que plus de femmes consultent. « Les hommes sont plus sensibilisés qu’ils l’étaient. Mais l’impact n’est pas encore concret », note Eve Lamontagne.

Mon Intervenant s’adresse aussi aux adolescents. D’ailleurs, une nouvelle collègue Émilie Morin vient de joindre l’équipe pour s’occuper des besoins de cette clientèle.

« Le projet continue à grossir parce que les besoins, eux, n’arrêtent pas. Ils explosent », constate la Victoriavilloise.

La situation a amené d’ailleurs les deux intervenantes à. afficher une autre offre d’emploi. « On essaie de développer des stratégies pour aider le plus de monde », souligne Nadia Paiva.

Parmi ces stratégies figure un programme thérapeutique comprenant 12 modules et qui peut être travaillé en partie de façon autonome. « Ça fait en sorte qu’on peut aider plus de gens. Ça nous libère du temps. Un journal thérapeutique accompagne le tout. On a au-delà de 150 outils thérapeutiques là-dedans », confie Eve Lamontagne.

« Quelqu’un qui veut cheminer de façon autonome parce qu’il a moins le temps en raison de son travail, il peut le faire le soir, par exemple. Et nous assurons l’accompagnement », confie Nadia.

Problématiques diverses

Les gens consultent parce qu’ils sont aux prises avec différentes problématiques. Mais, observent les intervenantes, bien des maux découlent d’une estime de soi fragile, d’une confiance en soi déficiente. « Tout découle de ça : la capacité d’établir ses limites, les choix qu’on va faire dans nos relations. Notre programme s’appelle Les fondations psychologiques essentielles parce qu’on pense que, quand tu as une bonne connaissance de soi, tu es capable de développer ton estime et ta confiance. Tu es solide pour faire des bons choix dans tes relations. C’est la base », fait valoir Eve Lamontagne.

La gestion des émotions, par ailleurs, revient souvent, remarquent les intervenantes. « Voilà quelque chose de base qu’on n’apprend pas à l’école, mais qui devrait faire partie de nos cours. Quand tu réussis à gérer tes émotions, tu es équipé pour passer à travers », soutient Nadia Paiva.

Mais avant de les gérer, poursuit Eve Lamontagne, il faut savoir les reconnaître, ce qui n’est pas si simple. « Les gens ont de la difficulté à exprimer comment ils se sentent. Leur comportement irritable peut avoir de l’impact au niveau de leur famille, de leur couple de leur travail. Ça peut mener à de gros problèmes, à la consommation, par exemple. »

Les relations de couple et l’anxiété constituent aussi des motifs de consultations.

« On tripe sur nos jobs »

Eve Lamontagne et Nadia Paiva s’entendent à merveille. Et elles se ressemblent quelque part. « Nous sommes chanceuses, on tripe sur nos jobs. Nous sommes fascinées, on en mange de la relation humaine », lance Eve. 

Les deux femmes font aussi preuve de transparence. Eve, par exemple, n’hésite pas à révéler qu’elle fait de l’anxiété dans la vie. Avoir vécu des situations liées à l’anxiété, pouvoir s’en servir et faire du partage de vécu pour enseigner constitue, selon elle, un outil d’intervention.

Eve et Nadia témoignent de leur reconnaissance en la vie, se considèrent chanceuses de faire ce qu’elles aiment. « Pour nous, c’est tellement un grand privilège que les gens s’ouvrent à nous et nous fassent confiance. Des gens amochés par la vie qui acceptent de se confier à toi. Oui, il peut être difficile de s’ouvrir, mais humainement c’est nécessaire. »

Comme l’importance de consulter un médecin en présence d’un problème ou d’une douleur physique, il est important, affirment les intervenantes, « de d’exprimer sur ce qu’on vit »,

« Avec une douleur psychique, c’est important de vérifier de quoi il s’agit avant que ça ne fasse boule de neige et que ça tourne en dépression ou en épuisement », exemplifie Eve Lamontagne.

« Une émotion, insiste Nadia Paiva, ça t’envoie un message, c’est ce que ça fait. Ça te dit qu’il y a quelque chose qu’il faut que tu observes en dedans de toi et il y a un besoin qui y est rattaché. Souvent, en en parlant, tu vas être capable de l’identifier. »

Un sujet moins tabou?

Avec le temps, le tabou entourant le fait de consulter s’est atténué, estime Eve Lamontagne. « Je pense qu’à partir de ma génération, il devient important de parler. Je trouve qu’il y a plus d’authenticité qu’auparavant. Avant le paraître professionnel était tellement important. Aujourd’hui, les gens parlent de leurs problèmes. Les hommes, on le voit un peu plus, parlent plus d’affection, se font des câlins. »

En conclusion, ce sont deux femmes fières qu’a rencontrées le www.lanouvelle.net. « On est vraiment en cohérence avec ce qu’on a toujours voulu faire dans la vie. C’est l’une des choses dont on est le plus fière », confie Eve Lamontagne.

« On s’amuse à travers le travail qu’on fait. On ne se prend pas trop au sérieux, mais on travaille sérieusement et on aide vraiment beaucoup de gens, à travers qui on est parce qu’on est nos propres outils de travail », commente Nadia.

« Cette passion qui nous anime ne fait que s’accentuer avec les années parce qu’on s’adapte, on a des projets. On rencontre des gens extraordinaires, on a de belles collaborations », ajoute Eve.

Et leur plus belle reconnaissance?  « De sentir que tu as fait une différence dans la vie de quelqu’un, ça n’a pas de prix, c’est la paye! », conclut Eve Lamontagne.