La dinanderie pour toucher les humains

Caroline Moreau se définit encore et toujours comme une « artiviste » (artiste-activiste). Cependant, son médium d’expression s’est modifié au fil des ans passant notamment de la cravate à l’étiquette de fruits et légumes. Maintenant, c’est grâce à la dinanderie qu’elle souhaite créer artistiquement.

La Victoriavilloise a eu, depuis les débuts, une pratique très intellectuelle, faisant des œuvres à la pièce, cherchant ce qui la touchait afin d’à son tour toucher les autres. « Mais depuis les deux dernières années, j’ai été plus silencieuse », confie-t-elle. Elle a profité de ce temps pour voir dans quelle direction son travail artistique pourrait aller. Mais peu importe le médium qui se présenterait, l’important pour elle demeurait de conserver ce lien à l’humain qui lui est si cher. « Je suis même allée faire le cours recherche-création à l’université pour pousser ma réflexion », ajoute-t-elle.

Ce moment lui a permis de déterminer qu’elle désirait encore relayer tous les récits de vie qu’on lui a déjà confiés. « Continuer le lien individuel-collectif, mais d’une autre manière », précise-t-elle. Une approche humaine, intime donc, plutôt que politique. Quant à la dinanderie (le travail du cuivre, de l’étain ou du fer blanc avec une certaine méthode), elle est arrivée tout naturellement dans son cheminement artistique. Il s’agit d’un art ancestral et Caroline mijotait depuis longtemps d’apprendre à fabriquer des lampes marocaines. « On est un peu comme des lampes. Il y a le métal qui est comme une métaphore de notre corporalité et la lumière qui en ressort comme ce qui nous transcende, qui fait de nous ce qu’on est, mais qu’on ne voit pas », explique-t-elle. Il faut aussi dire qu’elle avait déjà fait un séjour au Maroc et elle avait appris d’autres techniques artistiques comme la damasquinerie (incrustation de fil d’or, d’argent ou de cuivre sur un objet de fer), par exemple, qui ne lui correspondait pas.

Faisant jouer ses connaissances, elle est parvenue à entrer en contact avec M. Hassan, un dinandier, à Marrakech au Maroc où s’est organisé un stage d’une dizaine de jours en octobre dernier, pour qu’il lui apprenne les rudiments du métier. Il est d’ailleurs le seul dans la capitale à poursuivre la tradition de cet art qu’il pratique depuis qu’il a 8 ans. 

Rien ne sert de dire que Caroline n’est pas passée inaperçue dans le souk étant une femme avec la peau blanche qui vient apprendre un métier pratiqué traditionnellement par les hommes. Dans des installations rudimentaires, avec un enseignant qui parle quelques mots de français seulement, elle s’est lancée dans l’aventure. Au final, tout s’est bien passé pour elle et le séjour lui a permis d’apprendre les façons de faire, les méthodes et techniques qu’il lui faut encore peaufiner, naturellement. M. Hassan a dit qu’elle avait appris très vite et qu’elle pouvait revenir quand elle voudrait. Il lui a même fait cadeau de burins et d’un marteau pour travailler chez elle.

Maintenant de retour, elle prépare une demande de bourse de recherche et de création qui lui permettra d’aller plus loin et d’adapter sa pratique aux conditions et aux matériaux disponibles ici. Il faut dire que si cet art se fait rare au Maroc, il  l’est encore davantage au Québec. Mais peu importe, elle va de l’avant. « Pour moi, la dinanderie a été une révélation », a-t-elle dit. 

Caroline Moreau voudrait ainsi, une fois les matériaux et les façons de faire maîtrisés, cartographier l’intime (les récits de vie que les gens auront bien voulu lui confier) grâce à la dinanderie. « Je ne veux pas seulement faire des lampes », précise-t-elle. Ces œuvres de métal nécessiteront aussi probablement qu’elle suive un cours d’éclairage afin de pouvoir les mettre en valeur lors d’expositions éventuelles. Ce ne sont donc pas les défis qui lui font peur, en art comme dans la vie. 

Parlant de la vie, Caroline Moreau met à profit sa créativité dans tous ses aspects du quotidien. Directrice générale de la Corporation de développement communautaire de L’Érable, elle croit profondément au pouvoir transformateur de l’art et cherche à penser les projets différemment, avec un regard nouveau. « L’art est toujours présent, partout pour moi », insiste-t-elle. Et d’avoir choisi la dinanderie à ce stade-ci de sa démarche artistique lui permet d’attacher plusieurs fils de son parcours qui en viennent à créer un tout cohérent au centre duquel se retrouve toujours l’humain.