Les sages-femmes aspirent à déployer toutes leurs compétences dans le réseau de santé
MONTRÉAL — Elles peuvent prodiguer des conseils sur la santé reproductive et sexuelle, prescrire certains médicaments, effectuer des tests de dépistage sur des femmes et des bébés et, bien sûr, procéder à des accouchements. Les sages-femmes sont de réelles professionnelles de la santé, mais le réseau québécois se contente de les laisser sur la touche.
Selon la Loi sur les sages-femmes, ces bachelières sont réputées compétentes pour exercer un large champ de pratique, mais uniquement entre le début de la grossesse et la sixième semaine après l’accouchement. Un jour avant ou un jour après, il leur est interdit de fournir des services.
«Notre champ de pratique, c’est un épisode de soin, résume la présidente de l’Ordre des sages-femmes du Québec, Julie Pelletier. On a un vaste champ de pratique dans une fenêtre de temps très courte.»
Dans un contexte de grave pénurie de main-d’œuvre, où Québec cherche par tous les moyens à rendre son réseau de soins plus efficace, les sages-femmes pourraient certainement être impliquées davantage.
«Pour faire partie vraiment de la solution, par exemple en santé sexuelle et reproductive, en contraception, en dépistage et traitement des ITSS, il faudrait que l’on puisse exercer nos compétences en tout temps et non seulement auprès des personnes enceintes», soutient Mme Pelletier qui croit avoir l’écoute du gouvernement sur cet enjeu.
Cette option peut paraître contre-intuitive, mais les sages-femmes pourraient possiblement contribuer aussi à favoriser un meilleur accès à l’avortement. Actuellement, ces professionnelles en soins sont habilitées à prescrire la médication nécessaire à l’évacuation du fœtus dans le cas d’une fausse couche.
Cette procédure est très similaire à la pratique d’un avortement médical par la prise de médicaments au premier trimestre. L’ordre s’est déjà prononcé en faveur de l’ajout de cet acte dans le champ de pratique de ses membres.
La directrice du programme de baccalauréat en pratique sage-femme de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Magali Béchard, croit elle aussi que ses diplômées «pourraient probablement faire plus», bien qu’elles soient formées pour accomplir le travail qui leur est demandé dans le modèle actuel.
«Si on voulait élargir le champ de pratique, il faudrait qu’il y ait de la formation continue ou de la formation supplémentaire», estime-t-elle. Mme Béchard souligne tout de même que dans d’autres régions du monde, des sages-femmes ne font même pas d’accouchement, mais assurent le suivi médical de femmes tout au long de leur vie.
Il reste que dans l’état actuel du réseau de la santé «on est rendu à un moment où on a besoin que tout le monde participe aux soins», analyse la professeure. «Je pense que ça aide un peu à la réflexion pour ouvrir le champ de pratique», ajoute-t-elle.
Valoriser la profession
Ironiquement, l’un des principaux obstacles à un élargissement de la pratique des sages-femmes est le manque de main-d’œuvre. Comme le souligne la professeure Magali Béchard, les sages-femmes ne parviennent même pas à répondre à toute la demande pour des suivis de grossesse au Québec.
Ce manque d’effectifs explique aussi en partie pourquoi à peine plus de 4 % des accouchements sont pratiqués par des sages-femmes au Québec. Une statistique qui a beaucoup fait réagir les parlementaires lorsqu’elle a été citée en commission parlementaire sur la réforme du système de santé proposée par le ministre Christian Dubé.
D’après la cible fixée dans la Politique de périnatalité 2008-2018, le gouvernement souhaitait atteindre 10 % de naissances supervisées par des sages-femmes. De l’avis de la présidente de l’ordre, Julie Pelletier, le gouvernement a trop tardé à faire la promotion de la profession et à déployer les services en région.
Ce lent départ a rendu l’accès à la profession plus difficile. Depuis, on peine à former les recrues puisqu’elles doivent être jumelées à une sage-femme lors de leur stage. Au cours des dernières années, le gouvernement a appuyé sur l’accélérateur pour déployer le service dans toutes les régions, mais il reste un retard à rattraper dans la formation des professionnelles.
L’UQTR entend faire sa part pour remédier à ce problème. À titre de seul programme de formation en pratique sage-femme, l’université prévoit annoncer sous peu des mesures pour bonifier ses cohortes.
Mais s’il est vrai qu’il faut former plus d’étudiantes, il faut aussi freiner l’exode des sages-femmes qui abandonnent la profession, rappelle Julie Pelletier. Elle explique que le métier est exigeant et qu’il offre peu d’options en dehors de suivis de grossesse.
Une fois de plus, la présidente de l’ordre considère qu’une pratique plus large permettrait aux sages-femmes d’explorer d’autres aspects de la santé des femmes ou de la santé des nourrissons et de demeurer dans le réseau plutôt que de l’abandonner.
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