À la défense du Boisé Colonial

Un groupe de citoyens, regroupés sous le nom Les Ami.e.s du Boisé Colonial, s’active depuis deux ans environ autour d’un projet, celui de la préservation du boisé Colonial, un secteur appartenant à des propriétaires privés et voué à un développement résidentiel déjà entrepris d’ailleurs.

Bien que privé, depuis bien des années, des gens profitent du boisé, empruntant les quelque 5 km de sentiers que des bénévoles entretiennent. En mars 2021, quelques personnes se sont regroupées. Au fil du temps, le groupe s’est élargi au-delà de citoyens du quartier et comprend des gens ayant à cœur la préservation de l’environnement. Le groupe, qui compte près de 700 membres sur sa page Facebook, s’est donné pour mission de préserver le boisé et sa biodiversité, tout en permettant une utilisation récréative durable et communautaire.

Les membres du groupe estiment que la présence d’un milieu naturel en plein cœur d’un quartier résidentiel revêt une valeur sociale importante, permettant aux citoyennes et citoyens du quartier de pratiquer diverses activités en nature (marche, vélo, ski de fond) dans un endroit accessible près de chez eux.

Sans oublier, notent-ils, les bienfaits d’une forêt, comme la protection contre les vents dominants et la réduction des îlots de chaleur urbains. « Dès le départ, nous tenions à adopter une posture de coopération et non de confrontation », confie Joanie Gagné.

Les représentants du groupe ont d’abord identifié les acteurs impliqués afin de les interpeller. Les élus et fonctionnaires municipaux, la propriétaire des principaux lots et les organismes de préservation ont été rencontrés.

« On a voulu remercier la propriétaire, lui témoigner notre gratitude, car les gens sont heureux de pouvoir fréquenter les sentiers. On lui a transmis des remerciements et des témoignages, puis on a échangé sur sa vision. Au fond, ce qu’on voulait, c’était d’établir des ponts de communication entre tout le monde pour trouver une solution pouvant convenir à toutes les parties », explique-t-elle.

Les Ami.e.s du Boisé Colonial ont monté un dossier qu’ils ont présenté aux élus. « On leur a formulé des demandes. On voulait qu’ils démarrent des actions dans le sens de la protection, on leur offrait notre aide dans la recherche de solutions. Nous leur avons notamment présenté des gestes posés par plusieurs autres villes en lien avec des démarches de préservation et démontré qu’il existe des multitudes de solutions, financières, légales, réglementaires », expose Joanie Gagné, déplorant toutefois ne pas avoir obtenu de positionnement clair.

Les Ami.e.s du Boisé Colonial aimeraient bien voir la Ville de Victoriaville se doter d’un cadre réglementaire plus strict concernant le développement. « Il y a un manque à cet effet. Et des incohérences alors que la Ville souhaite devenir leader du développement durable, souligne Mme Gagné. Reverdir en plantant des arbres constitue une superbe action, mais de l’autre côté, on abat 50 000 arbres, voilà une incohérence. »

L’objectif premier du développement durable dans la définition du gouvernement du Québec, note-t-elle, consiste « à maintenir l’intégrité de l’environnement pour assurer la santé et la sécurité des communautés humaines et préserver les écosystèmes qui entretiennent la vie ».

« Il faut sortir de cette mentalité axée sur la croissance économique et revoir nos façons de faire en fonction des nouvelles priorités. On ne peut se targuer d’être leader du développement durable, plaide Joanie Gagné, si on n’est pas en mesure de mettre des actions différentes d’avant. Et préserver, c’est la première, parce que des boisés il en reste peu. Être leader, ça commande un changement de vision, à dire non à des choses auxquelles on dit oui auparavant. Ça commande à ne plus faire comme avant. Pour devenir leader, il faut mettre de l’avant des actions concrètes et des réglementations plus strictes. »

Par ailleurs, alors que la Ville parle de plus en plus de densification, le groupe observe, depuis 1993, une diminution de densité, passant de 1355 habitants à 566 habitants par km carrés. « On n’est donc pas dans les mesures où on fait attention au territoire qu’on occupe pour l’habitation. On aimerait que ça change. La densification urbaine se fait sur un espace existant, déjà développé, sur lequel on va rajouter des habitations sans augmenter l’occupation du territoire. Dans le présent cas, on est plutôt dans l’étalement urbain », fait-elle remarquer. 

Les membres du groupe ont l’impression que la Ville se concentre davantage sur le développement, sur la croissance, sur les projets. « Oui, cela a du bon, reconnaît Joanie Gagné, mais changer de mentalité passe par nos leaders. De nombreuses villes réalisent des actions concrètes pour protéger les milieux naturels. On a du rattrapage à faire, ici, pour s’appeler leader du développement durable. Nous considérons que si tu es leader, tu surpasses les exigences minimales. Comme leader, tu vas plus loin. »

Pour les Ami.e.s, le boisé Colonial a son importance à l’échelle de la municipalité pour contrer les îlots de chaleur. Le boisé n’a rien de comparable au mont Arthabaska ou à Terre-des-Jeunes. « Mais c’est de l’air qu’on respire, c’est de la qualité de vie qu’on a parce qu’il existe. Sans compter le reste de la vie, la biodiversité qui existe dans ce boisé », témoigne Joanie Gagné.

Le groupe fait valoir qu’en matière d’environnement, les milieux naturels sont les grands négligés. « Ils n’ont pas une voix forte parce que ça ne rapporte pas. On fonctionne beaucoup avec la valeur monétaire des choses et non avec la valeur véritable pour la population, pour les bienfaits que ça apporte », observe Ariane Roy-Hamel.

Si la préservation n’a pas toujours eu la cote, la situation tend à changer, estiment Ariane Roy-Hamel et Joanie Gagné. « On pense qu’en 2023, ça devient glamour de protéger, de faire des choix francs, de mettre de l’argent pour nos citoyens, nos enfants, pour les générations futures. La planète parle. La lutte aux changements climatiques, ce sont nos leaders qui doivent l’entreprendre. Les citoyens vont finir par accepter les changements de coutume, de pratique, parce que les grandes organisations les mettent en place », soutient Joanie Gagné.

Développer et préserver

Présidente de LRB Construction, Vanessa Bergeron, à la tête du projet, a à cœur ce secteur, cette terre d’ailleurs sur laquelle elle a grandi et joué, une terre achetée par son grand-père voilà plus de 50 ans et rachetée ensuite par son père qui a réalisé trois phases de développement avant son décès subit il y a 10 ans.

Un fort sentiment familial habite la promotrice. « Mon but premier est de réaliser un hommage à mon père et mon grand-père. C’est mon plus beau legs familial. J’ai un sentiment d’appartenance. Je poursuis le beau travail de mon père », confie-t-elle, dans son bureau du boulevard des Bois-Francs Nord.

Des offres d’achat, elle en a reçu beaucoup. Mais vendre demeure impensable. « J’ai un blocage, j’en suis incapable. C’est un projet que je souhaite vraiment développer. Ça vient de mes convictions les plus profondes. Il faut que je le développe. Et je ne vois personne d’autre le faire mieux que moi », affirme-t-elle.

L’argent, assure-t-elle, n’est absolument pas la première motivation. « Bien sûr, il faut que ce soit rentable, mais avant tout, il s’agit de réaliser un beau développement en hommage à ma famille. Et que ce soit profitable pour les générations futures », souligne Vanessa Bergeron, ajoutant qu’elle souhaite que les terrains restent abordables pour la majorité des gens. Elle mijote même l’idée d’un programme d’accessibilité à une première résidence pour les moins de 30 ans.

Son projet vise le développement de 200 terrains, pouvant représenter jusqu’à quelque 500 portes advenant des multilogements. Un projet en trois phases qui devrait s’échelonner sur 10 ans.  Mais pas question, signale-t-elle, de tout couper, d’effectuer une coupe à blanc. « Je conserve plus de 30% d’espaces verts. J’ai bien aimé, dit-elle, le développement Gaudreau à Saint-Christophe-d’Arthabaska. Ils ont simplement déboisé les rues, sans toucher aux terrains. C’est le genre de développement que j’aimerais faire. Il en restera beaucoup plus que lorsqu’on coupe au complet. On laisse le choix aux propriétaires de conserver ce qu’ils veulent ou ne veulent pas. »

Dans le projet, la piste cyclable se rend à la rivière et des sentiers sont préservés pour permettre à tous de profiter des lieux et d’y observer la flore et la faune.

La promotrice a aussi dans ses cartons la plantation de centaines d’arbres le long des rues, et non seulement dans la zone humide. « J’aimerais préserver la plupart des espèces et possiblement faire un petit sentier éducatif avec des panneaux d’interprétation », expose-t-elle.

Vanessa Bergeron tend la main, insiste aussi sur le respect et le travail d’équipe. « C’est tellement une belle place, pourquoi ne pas en faire profiter les autres?

Le boisé est devenu très populaire. Mais j’aimerais réitérer un message : l’accès aux sentiers n’est pas acquis, c’est un privilège qu’ont les gens. Il n’est pas éternel. Il faut travailler ensemble et faire quelque chose de beau. J’aimerais qu’on travaille main dans la main pour aboutir à un beau projet dont tout le monde sera fier. »

La présidente de LRB Construction fait valoir qu’il est possible de développer en respect, en harmonie avec la nature et de préserver le plus possible. « On veut faire attention aux milieux sensibles. Il y a quand même des espèces qu’on veut protéger. Il s’agit de trouver un juste milieu pour que tout le monde soit content. Et que ça reste rentable », conclut-elle.