Sandra Morissette : servir, souffrir, se réunir et guérir
Il y a de ces blessures de guerre que l’on ne voit pas. Comme bien d’autres soldats avant elle, Sandra Morissette en a porté fort difficilement en s’isolant.
Pour renouer avec l’esprit de corps qui lui manquait tant, la vétérane de la guerre d’Afghanistan a commencé à fréquenter la Légion royale canadienne à Victoriaville il y a une dizaine d’années. Une oasis où elle y a retrouvé guérison et une forme de paix ô combien salvatrice et autant méritée que ses nombreuses médailles amassées en 20 ans de carrière dans les Forces armées canadiennes.
«La Légion a été fondée par des Britanniques. C’est pour justement aider les soldats qui sortaient des guerres afin qu’ils puissent avoir un environnement commun pour se raconter. Souvent, dans ce temps-là, ils revenaient du combat et ils avaient vu des choses horribles», relate la femme de 52 ans qui a quitté l’armée à 39 ans.
«Quand j’ai commencé, il y a dix ans, moi j’étais chez moi. Je vivais de l’isolement. Et, à un moment donné, il a fallu que je sorte de chez nous. Quand j’ai quitté les Forces, ça m’a détruit. Je n’avais plus de vie. Je ne savais pas comment me redéfinir. J’avais un peu entendu parler de la Légion. Certains disaient «c’est juste pour les vieux». Je suis venue m’inscrire. Effectivement, il y avait beaucoup de gens âgés. Mais si on ne fait pas comme moi, il n’y aura jamais plus jeunes et d’ailleurs j’aime beaucoup les personnes âgées. Ils ont beaucoup à raconter», rapporte celle qui donnera rapidement un coup de main pour le recrutement à la suite d’une invitation de Gisèle Phaneuf. Des efforts qui vont porter fruit.
Adepte de moto, elle parlera de la Légion à ses camarades de route, eux aussi vétérans. «Maintenant, on voit une grosse différence, il y a beaucoup de gens de mon âge qui fréquentent notre salle», souligne-t-elle fière de son travail bénévole au sein de l’exécutif de cet organisme sans but lucratif qu’est la Légion royale canadienne Arthabaska.
Un amour pour l’armée dès l’adolescence
C’est à 12 ans, alors résidente de Saint-Georges-de-Beauce, que la jeune fille déterminée va cogner à la porte du Corps des cadets. «J’ai toujours été une fille de gang, j’aimais l’aventure et j’ai voulu m’inscrire. J’y ai été de 12 à 17 ans. J’ai appris beaucoup de choses, j’ai appris à socialiser et on faisait beaucoup de bénévolat», indique-t-elle. Une passion qui l’amènera à s’enrôler dans les Forces en 1987. «Je voulais une continuité, j’aimais l’uniforme et je voulais servir», ajoute une Sandra Morissette pour qui l’entrée dans l’armée canadienne ne sera pas de tout repos.
«Je suis une femme, francophone et gaie. Des blagues plates, j’en ai eu de 1987 à 2020. Il y a eu de la discrimination. Les hommes étaient préférés aux femmes pour des promotions. En tant que femme, tu ne valais pas grand-chose», dénonce-t-elle en mentionnant également que les homosexuels, hommes comme femmes, ont particulièrement été discriminés.
«Il y a eu ce qu’on appelle la Purge LGBT. Comme moi, certaines personnes n’ont pas eu droit à des promotions en raison de leur orientation sexuelle. Certains ont même été chassés des Forces. J’ai fait partie du recours collectif. L’armée a reconnu ses torts. On va avoir droit à une indemnité», confirme-t-elle tout en mettant l’accent sur sa Citation Fierté Canada, une distinction qu’elle pourra fièrement porter avec ou sans son uniforme.
Notons que sa carrière militaire en tant que linguiste l’amènera, entre autres, à être déployée en Afghanistan. Elle y sera chargée de recueillir de l’information sur les talibans. «Je voulais y aller et je croyais à la cause. Le 11 septembre 2001 m’a marqué, c’est certain. Je me suis sentie menacée à ce moment-là et aller à Kaboul, c’était une façon pour moi de faire la différence», se rappelle-t-elle. La condition des femmes afghanes interpellait également celle qui se qualifie de féministe. «Je suis pour l’égalité et le respect des femmes», dit-elle sans détour.
Cependant, constatant que les choses n’ont pas tellement changé dans ce pays (il y a quelques jours, les talibans ont tué ou blessé près de 400 soldats ou policiers), la militaire ressent une forme de tristesse s’approchant de la colère. «Au Canada, on a 158 gars qui sont morts là-bas pratiquement pour rien», observe-t-elle.
Malgré les obstacles et des constats difficiles, Sandra Morissette ne regrette cependant pas sa carrière. «Quand tu passes 20 ans dans les Forces, tu restes militaire à vie. J’en suis fière. Servir, c’est important et c’est ce que je continue de faire à la Légion», termine Sandra Morissette en ayant le bonheur de voir deux de ses neveux suivent ses traces.