Et si on misait sur la prévention?
En mai 2018, sept adolescents de 12 à 14 ans, élèves du Séminaire des Pères Maristes de Sillery, sont interrogés par les autorités policières. Ils sont soupçonnés d’avoir partagé des photos de trois étudiantes dénudées qui fréquentent la même institution.
Étant donné que les victimes sont mineures (12 et 13 ans), ils sont passibles d’accusations de possession et de distribution de pornographie juvénile ainsi que, pour certains, de leurre, d’extorsion et d’agression sexuelle. C’est la consternation! Plusieurs croyaient que les milieux bien nantis et les institutions privées, qui sélectionnent leurs élèves, sont à l’abri de ce type de situation.
C’est le directeur de l’école qui a avisé la police de Québec, après avoir été informé de ce qui s’était passé par les parents des victimes. Six des sept élèves en question ont été arrêtés et suspendus de l’institution le temps d’analyser la situation afin d’assurer un suivi adéquat.
Les adolescents ont eu deux semaines de suspension, puis deux semaines de cours dans un pavillon distinct avec un horaire particulier, afin de ne pas croiser les plaignantes jusqu’à leur réintégration au début de la prochaine rentrée. Cette décision, considérée trop clémente, provoque une tempête médiatique.
La direction de l’école rencontre les parents des garçons et des filles. Cinq des six garçons veulent rester au Séminaire, le sixième est déjà inscrit dans une autre école, alors qu’une seule des trois jeunes filles décide de continuer à fréquenter l’établissement.
Trois mois plus tard, les parents des coupables, tout en reconnaissant le chagrin et le stress vécu par les jeunes filles et leurs familles, expriment leur désarroi. Ils considèrent que leur silence a nui à leurs enfants leur donnant l’impression d’avoir laissé une machine les lyncher, alors qu’ils ont déjà à assumer les conséquences judiciaires.
À la suite du tollé, le conseil d’administration annonce aux parents que les contrats de services éducatifs de leurs garçons sont résiliés. Deux se soumettent à la décision et les trois autres mandatent un avocat pour trouver une solution, estimant qu’il est trop tard pour les inscrire dans une autre école privée. Les parents sont sommés de retirer volontairement leurs garçons pour leur éviter l’expulsion.
Trois cents lettres sont envoyées à la direction du Séminaire pour appuyer la réintégration des garçons, plusieurs considèrent que ces jeunes ont agi par étourderie sans mesurer les conséquences de leurs gestes. Parallèlement à cette action, une chaine humaine est formée en appui aux victimes devant l’institution et une pétition de 3000 signatures dénonce le retour en classe des garçons. À la suite des recours intentés par les parents, leur réintégration est imposée par une décision juridique.
Le Séminaire dispense de l’aide psychologique aux garçons, qui s’engagent à maintenir une attitude respectueuse, à ne pas utiliser de téléphone cellulaire à l’école et ne pas entrer en contact avec les victimes alléguées. Seules les interactions jugées inévitables dans un contexte scolaire sont tolérées. La jeune victime qui a choisi de rester reçoit également de l’aide professionnelle dispensée par l’institution. Finalement, des sept élèves soupçonnés du début, quatre ont changé d’école et trois sont réintégrés pour se conformer à la décision de la Cour supérieure.
À la suite de cette histoire, la direction du Séminaire fait connaitre son nouveau plan de lutte contre l’intimidation et la violence, plan qui a été accepté par le ministère de l’Éducation. Une procédure d’examen des plaintes, comme le prévoit le projet de loi 183, est également mise en place avec la Fédération des établissements d’enseignement privés qui se dote en plus «d’une politique pour prévenir et combattre les violences à caractère sexuel» ainsi qu’un contenu obligatoire en éducation sexuelle pour les élèves.
Que faut-il faire pour éviter que de telles situations se reproduisent? Interdire les cellulaires à l’école, comme ça se fait en France? Expulser les étudiants fautifs de l’école de façon permanente, comme l’ont suggéré certains parents, déplaçant ainsi le problème plutôt que d’y faire face? Instaurer des cours d’éducation sexuelle à l’école alors que certains parents s’y opposent catégoriquement, considérant que ce n’est pas le rôle de l’école?
Le Séminaire, les services de police de Québec et de Lévis, la Sûreté du Québec ainsi que la maison des jeunes du quartier ont sensibilisé les élèves aux dangers de partager des photos et vidéos à caractère sexuel. Une vidéo intitulée Ton selfie, ça ne regarde que toi a été présentée à l’ensemble des jeunes en mai. Cette campagne de sensibilisation a clairement exposé les conséquences judiciaires et psychologiques comme : l’intimidation, la perte d’estime de soi, l’atteinte à la réputation et la dépression, voire le suicide, qui peuvent en résulter, autant pour les victimes que pour les contrevenants.
Les organismes ESPACE sont évidemment en faveur de toutes les actions prises pour contrer ce phénomène et éviter que de telles situations se reproduisent. Cependant, ne serait-il pas à propos de faire de la prévention dès le plus jeune âge? Ne serait-il pas nécessaire d’outiller les enfants afin qu’ils puissent être en mesure d’exprimer leurs malaises, particulièrement quand on ne respecte pas leur intégrité, et sachent qu’ils peuvent demander de l’aide à des adultes en qui ils ont confiance? ESPACE outille également la communauté de l’enfant afin que les adultes de son entourage soient en mesure de l’aider, sans dramatiser, et sachent où obtenir de l’aide spécialisée au besoin.
Nous croyons que le manque d’information est l’un des facteurs importants qui permettent ce type de situation. Le contenu des ateliers ESPACE, dispensé en fonction de l’âge des enfants, permet non seulement de diminuer les facteurs de vulnérabilité, mais également de freiner la réalisation d’étourderies, qui peuvent devenir des tragédies, en faisant réfléchir sur les conséquences de nos actes.
C’est en répétant, tous ensemble et chacun à notre façon, que nous arriverons à faire passer le message que le respect est primordial pour que tous puissent se sentir fort, en sécurité et libre.
Le respect est une barrière qui protège également le grand et le petit; chacun de son côté peut se regarder en face. Citation de Honoré de Balzac; Le lys dans la vallée (1836)
Votre groupe ESPACE est là non seulement pour outiller les enfants, mais également la famille et l’ensemble de la communauté. Si vous vous posez des questions face à une situation ou vous ne savez comment réagir, n’hésitez pas à nous consulter, c’est gratuit et confidentiel : Espace Centre-du-Québec, 819 752-9711.
Texte rédigé par Monique T. Giroux pour ESPACE Centre-du-Québec