Asbestos : du vert sur l’infiniment gris

On se croyait sur la lune. Les haldes de résidus miniers de l’ancienne mine Jeffrey d’Asbestos, grises, sans vie, ont longtemps été une triste métaphore pour la région. Mais tout cela est en train de changer avec la compagnie Englobe qui s’affaire depuis 2004 à revitaliser ces haldes. Aujourd’hui, force est de constater que la nature a repris ses droits et que la vie s’y active.

Le contraste est fort, d’un côté un sol stérile où rien ne pousse et de l’autre, une prairie verdoyante où vivent plantes, insectes, oiseaux et mammifères.

Tout cela est possible grâce aux matières résiduelles organiques récupérées par Englobe. L’entreprise utilise du compost pour créer un sol agronomiquement viable, l’étend puis sème de l’avoine et du mélange B. En six mois, la nature a repris ses droits et devient autonome.

Englobe possède 450 hectares de l’immense terrain de la mine Jeffrey qui s’étend sur 17 km par 3 km.

«Veux, veux pas, à valoriser plusieurs hectares par années depuis 16 ans, on avance, souligne Olivier Sylvestre, directeur régional pour Englobe. On en a fait plus que la moitié.»

L’intervention humaine est nécessaire pour donner un coup de pouce à Dame Nature puisque les haldes sont complètement stériles.

«Il n’y a rien qui pousse, on appelle ça du stérile minier, explique M. Sylvestre. C’est la roche qu’ils ont enlevée pour se rendre au gisement d’amiante.»

Un plan b

En fait, la végétalisation des haldes n’est pas le but premier d’Englobe, mais plutôt une simple résultante de leur objectif principal qui est de gérer des matières résiduelles organiques.

Plusieurs municipalités de la région, dont Asbestos, font affaire avec Englobe pour la gestion de leur compost. Quand une personne jette une pelure de banane par exemple dans le bac brun, celle-ci est envoyée au centre de compostage à Bury pour être transformée en compost.

Les papetières sont probablement le plus grand générateur de matières résiduelles organiques au Québec. Kruger, Cascades et Domtar sont tous des clients d’Englobe.

«Ils génèrent beaucoup de matières organiques lors du recyclage du papier, indique M. Sylvestre. Le papier est mis dans de grandes cuves d’eau. La fibre est dissoute et reconstruite en feuille de papier, mais un moment donné la fibre de bois est trop petite pour être réutilisée. Ces microfibres de bois sont écartées. Ça génère des quantités astronomiques de matières organiques.»

Environ 80% de ce compost produit par Englobe est ensuite utilisé par le milieu agricole, selon les besoins des fermiers. Les municipalités et le ministère du Transport du Québec en achètent aussi beaucoup. Ce n’est qu’ensuite que le surplus est envoyé vers la mine Jeffrey.

«La mine arrive en ligne de compte quand on a un contrat de cinq ans par exemple avec un client, souligne M. Sylvestre. On a un camion qui sort du centre de compostage chaque jour, mais ce n’est pas chaque jour qu’un fermier en a besoin ou que la météo permet d’aller en camion dans un champ. Nos sites miniers sont donc des « backups ». Tranquillement comme ça on reçoit nos voyages et on végétalise la mine. On n’est jamais mal pris.»

Englobe possède deux autres sites dégradés comme celui d’Asbestos pour utiliser ses surplus de compost, un à Thetford Mines et un autre à la mine Carey de Tring-Jonction.

«On est toujours à l’affût pour d’autres projets de revitalisation.»

Un symbole fort

Les chevreuils sont revenus sur les haldes. Les oiseaux de proie guettent avec attention leur prochain repas. Les couleuvres aussi. La vie a vraiment repris. Et pourtant le symbole le plus fort de cette relance est probablement la production de miel d’Englobe. Depuis quatre ans, la compagnie produit du miel directement sur les haldes.

«C’est pour donner une utilité au site et prouver qu’il n’est pas toxique, explique Olivier Sylvestre. Il n’y a pas meilleur symbole qu’une abeille et on aime l’aspect marketing qui vient avec. J’ai des caisses de miel, on en donne à nos clients et nos employés.»

Olivier Sylvestre croit beaucoup au potentiel du site minier qui selon lui pourrait, à terme, servir à la population.

«Je verrais le site être utilisé avec un terrain de golf, des pistes de vélo de montagne ou de la glissade l’hiver, résume-t-il. Ils décideront ce qu’ils font avec le site, mais c’est un bel endroit qui a encore à offrir aux gens de la région.»

Danger sur les haldes?

Dans son rapport sur l’état des lieux et la gestion de l’amiante et des résidus miniers amiantés, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement souligne que «la végétalisation de certaines haldes représente un gain environnemental et sanitaire appréciable puisqu’elle réduirait sensiblement le niveau de contamination tant aquatique qu’atmosphérique.» Englobe se réjouit d’ailleurs des conclusions du rapport concernant la revitalisation.

«C’est une protection de plus assurément, lance Olivier Sylvestre. Est-ce qu’il y a des roches qui ressortent parfois, oui, mais c’est négligeable.»

M. Sylvestre assure aussi qu’il n’y a aucun compromis de fait concernant la sécurité des employés chez Englobe.

«Bien avant le BAPE, on a effectué des tests d’air ambiant, lance M. Sylvestre. On s’est creusé la tête pour essayer de générer des fibres d’amiantes. On n’a jamais dépassé le seuil canadien de 0,1, on n’a même jamais été proche. On est souvent dans des quantités qui ne sont pas détectables.»

Équilibre fragile

Le bac brun se généralise tranquillement un peu partout au Québec. Si son apparition est une excellente nouvelle pour l’environnement et pour les municipalités qui auront moins de déchets à gérer, le bac brun vient aussi perturber un fragile équilibre.

«S’il manque de sites pour recevoir ces matières, tu as beau les collecter, tu les envoies où, questionne Olivier Sylvestre. Il commence à y avoir une pénurie de sites de compostage.»

«Tout le monde a une envie très forte de valoriser la matière organique, ce qui est super, ajoute-t-il. On a réussi à convaincre les gens, mais on est en retard. Il y a plus de bacs bruns qu’il y en avait il y a trois ans, mais il n’y a pas vraiment plus de sites.»

Il faudra donc, selon lui, que les débouchés pour les matières résiduelles organiques se développent rapidement pour répondre à la demande.

De Lac-Mégantic à Asbestos

La tragédie de Lac-Mégantic a laissé des centaines de milliers de tonnes de sols contaminés. Englobe a participé à la décontamination de ces sols et on en retrouve aujourd’hui plus de 50 000 tonnes sur les haldes à Asbestos.

«Ces sols ont permis de mettre une épaisseur supplémentaire sur le stérile minier en plus de notre couche de végétalisation, explique Olivier Sylvestre. Ça nous a permis de planter des arbres, donc non seulement on végétalise, mais on reboise la mine tranquillement.»

Habituellement, la matière étendue par Englobe pour revégétaliser est de 15 à 30 centimètres d’épaisseur.

«Avec les sols de Lac-Mégantic, on est allé chercher un mètre. Pour les racines des arbres, c’est beaucoup mieux», indique-t-il.

La Tribune